Le parlement européen a adopté aujourd’hui[1],
jeudi 14 avril, la directive sur le secret des affaires. Cette
directive, censée protéger les entreprises contre l’espionnage
industriel, a été élaborée en toute opacité par la commission
européenne, à la demande et avec l’aide considérable de quelques
multinationales françaises et américaines[2].
Elle introduit une nouvelle définition, le secret des affaires, aux
contours tellement larges que toute information interne à l’entreprise
peut potentiellement en faire partie. Surtout, la directive permet aux
entreprises de poursuivre tous ceux, journalistes, syndicalistes,
lanceurs d’alertes ou salariés utilisant leurs informations acquises sur
leur lieu de travail, qui révèleraient un secret d’affaire. Les
exceptions supposées protéger les libertés sont très insuffisantes :
leur adaptation en droit national variera en fonction des Etats, et il
reviendra au juge de faire la part des choses entre la protection de ces
libertés d'une part, et la défense des intérêts économiques d'autre
part. La charge de la preuve est inversée : Les entreprises devront
seulement prouver qu’elles n’ont pas autorisé l’obtention, l’usage ou la
publication du secret d’affaire concerné tandis que les citoyens
devront démontrer au juge qu’ils ont agi de façon compatible avec une
des exceptions prévues. La simple perspective des poursuites sera une
intimidation permanente pour tous les enquêteurs ou lanceurs d’alerte
potentiels, sans parler de l’effet au quotidien sur la mobilité des
salariés et de la possibilité d’accéder à des informations d’intérêt
général sur la toxicité des produits sur le marché.
Plus de 270 000 citoyens avaient pourtant appelé les eurodéputés à rejeter cette directive en deux semaines dans une pétition[3], ainsi qu’une coalition européenne de 54 ONG et organisations syndicales.
Au
lendemain de l’affaire Panama Papers, et à la veille du procès
d’Antoine Deltour et d’Edouard Perrin au Luxembourg, c’est un texte
protégeant les lanceurs d’alertes et imposant la transparence aux
multinationales que le parlement européen aurait dû adopter. Au
contraire, avec cette directive, le parlement européen a l'inconscience
de créer un nouveau droit à l’opacité pour les multinationales et
fragilise encore les contre-pouvoirs.
Manifestement,
les eurodéputés n’ont pas compris les enjeux et les dangers du texte
qui leur était soumis. Ce vote, intervenu au pas de charge le lendemain
d'un débat expédié en moins d'une heure dans un hémicycle quasi vide,
interroge le fonctionnement démocratique de l’Europe et la capacité de
ses institutions à défendre l’intérêt général. C’est un triste jour pour
ce qu'on pouvait encore espérer de la démocratie européenne. Il y a
urgence à ce que les citoyens européens reprennent le pouvoir qui leur
est confisqué. Gageons que si ces institutions européennes-là ne les
défendent pas, ils leur reprendront bientôt cette prérogative. Ce vote
fait reculer les libertés mais notre combat ne s’arrête pas. Nous
continuerons à mener campagne à tous les niveaux contre cette directive.
Dans le cadre de sa transposition par les Etats membres, comme dans
celui de la jurisprudence européenne. Ce que les institutions
européennes ont fait, elles peuvent le défaire, et comme dit l’adage
populaire, « il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis ».
Liste des membres de la coalition européenne
Anticor,
Association Européenne pour la Défense des droits de l'Homme, ATTAC
Spain, ATTAC France, Asociación Libre de Abogadas y Abogados, Centre
national de coopération au développement CNCD-11.11.11, Correctiv.org,
Germany, BUKO Pharma-Kampagne, CCFD-Terre Solidaire, CFDT Journalistes,
CGT Ingénieurs, Cadres et Techniciens (UGICT-CGT), Collectif Europe et
Médicament, Collectif de journalistes “Informer n'est pas un délit”,
Comité de soutien à Antoine Deltour, Commons Network, Corporate Europe
Observatory, Courage Foundation, Deutsche Gewerkschaftsbund (DGB,
Confédération des Syndicats allemands), Ecologistas en Acción, EcoNexus,
European Network of Scientists for Social and Environmental
Responsibility (ENSSER), European Public Health Alliance, Fédération
Syndicale Unitaire (FSU), Fondation Sciences Citoyennes, Force
Ouvrière-Cadres, Genewatch, GMWatch, Health Action International, Health
and Trade Network, Inf'OGM, Institut Veblen, International Society of
Drug Bulletins, La Quadrature du Net, Les économistes atterrés, Ligue
des Droits de l'Homme, Observatoire Citoyen pour la Transparence
Financière Internationale (OCTFI), OGM Dangers, Peuples Solidaires,
Nordic Cochrane Centre, Pesticides Action Network Europe (PAN-Europe),
Plateforme Paradis Fiscaux et Judiciaires, Public Concern At Work,
Solidaires, SumOfUs, Syndicat des Avocats de France (SAF), Syndicat
National des Chercheurs Scientifiques (SNCS – FSU), Syndicat National
des Journalistes (SNJ), Syndicat National des Journalistes CGT
(SNJ-CGT), Syndicat des journalistes CFDT, Syndicat de la Magistrature,
Tax Justice Network, Transparency International France, WeMove.eu,
Whistleblower-Netzwerk e.V., Germany, Xnet
[1]Les
votes étaient les suivants: gauche (GUE) contre, Verts contre,
Socialistes pour (moins peut-être certains courageux), les libéraux
(ALDE) seraient divisés, les conservateurs (PPE) pour, les Conservateurs
et Réformistes (ECR, essentiellement les conservateurs britanniques)
pour à quelques exceptions, le groupe « libertés et démocratie directe »
(EFDD – mouvement 5 étoiles italien et indépendantistes britanniques),
contre, et le groupe « Europe des Nations et des Libertés » (EFN – Front
National français et alliés), pour.
[2] http://corporateeurope.org/power-lobbies/2015/04/towards-legalised-corporate-secrecy-eu