« C’est à Craonne, sur le plateau Qu’on
doit laisser sa peau Car nous sommes tous condamnés Nous sommes les sacrifiés »
Tout le monde connait la chanson célèbre
qui parle du sacrifice en 17 de centaines de milliers de jeunes gens. La
bataille de la Somme qui a fait 500.000 morts, dont 20.000 Anglais en un jour,
sans résultat militaire notable, est bien connue.
Aussi, quand le 1er juillet 2016, un Secrétaire
d’Etat aux anciens combattants honore de sa présence (c’est la formule
rituelle) une cérémonie commémorant la bataille de la Somme, une chorale locale
prévoit de chanter Roses of Picardy en hommage aux soldats anglais, et la
chanson de Craonne.
Problème : la chanson interdite en 1917
reste bannie jusqu’en 1974. C’est aussi l’époque où pour voir les Sentiers de la gloire, l’œuvre de
Kubrick en grande partie inspirée par l’exécution des caporaux de Souain et
interdite en France, il fallait aller en Belgique. Du temps a passé́ depuis :
nous sommes pratiquement à un siècle de la bataille de la Somme. Mais le
directeur de la chorale reçoit la veille un mail des services du Secrétariat
d’Etat annonçant que la chanson a été́ retirée du programme. Question de « timing
». La cérémonie est déjà̀ trop longue et l’emploi du temps ministériel ne le
permet pas. Pourtant le directeur de la chorale avait prévu de ne faire chanter
que le premier couplet et le refrain pour que le tout n’excède pas les deux
minutes. En vain.
Problème d’emploi du temps ? Censure ?
Pourtant on se souvient des déclarations de L.. Jospin à Craonne, en 1998,
souhaitant que « les fusillés pour
l’exemple, au nom d’une discipline dont la rigueur n’avait d’égal que la dureté́
des combats, réintègrent aujourd’hui pleinement notre mémoire collective
nationale ». Ce discours marquait le dé- but d’une compréhension des
motifs des mutine- ries, par rapport au contexte de la désastreuse offensive
Nivelle, nulle sur le plan stratégique et dévoreuse de jeunes vies.
Faut-il penser, au travers de l’incident du
1er juillet, qu’on en est là aujourd’hui alors même que les études historiques
ont modifié́ notre vision de la guerre 14-18. Depuis longtemps, il allait
presque de soi que les Poilus, dressés en quelque sorte par le climat
revanchard qui voulait effacer la honte de la défaite de 70, avaient accepté́
sans contester le sacrifice de leurs vies. Mais il est question aujourd’hui de
repenser le refus de guerre qui pose à nouveau dans une lumière nouvelle les
cas de la répression par la justice militaire, et donc le sort des fusillés
pour l’exemple.
Dans le climat politique actuel où il est
sans cesse question de la légitimité́ d’un roman national qui aurait force de
loi dans les programmes scolaires, on s’éloigne de la proposition de loi du 10
octobre 2012 qui prévoyait, l’article unique : « les fusillés pour l’exemple de la première guerre mondiale font l’objet
d’une réhabilitation générale et collective, et, en conséquence, la Nation
exprime officielle- ment sa demande de pardon à leurs familles et à la
population du pays tout entier. Leurs noms sont portés sur les monuments aux
morts de la guerre 14-18, et la mention Mort pour la France leur est accordée ».
Quoi qu’il en soit, l’attitude du Secrétaire
d’Etat, les références continuelles au roman national qui bannirait les
approches mémorielles susceptibles de déconstruire un récit unitaire passant
sous silence les mutins de 17, Vichy, la guerre d’Algérie, les massacres coloniaux…tout
cela laisse à penser que les fusillés pour l’exemple - c’est une litote - ne
sont pas une préoccupation majeure au plan gouvernemental.
Rien n’a évolué́ depuis les conclusions de
la com- mission Prost. Rappelons qu’elle évacuait une réhabilitation en bloc,
au prétexte que parmi les condamnés à mort il y avait 50 droits communs et 50
espions, tout au moins selon les critères de la justice militaire. Autre mesure
évacuée : le jugement au cas par cas qui permet non une amnistie, mais une
pleine réhabilitation, ce qui fut le cas pour les caporaux de Souain. La
commission estimait ce travail considérable et pratiquement impossible à
mener. Dernière hypothèse : une déclaration solennelle affirmant que « ces soldats sont, eux aussi, d’une certaine manière,
morts pour la France ». Ce qui permet d’éviter de dire qu’ils sont morts
PAR la France. Une fois encore, comme dans l’affaire Dreyfus, la hiérarchie
militaire se voit exonérée de toute responsabilité́.
Que reste-t-il pour que le dossier ne se
referme pas ? L’action des associations. De longues luttes sont encore devant
nous.
Yves Treguer, au nom de la
Ligue des droits de l’Homme (LDH).