Nous sommes ici réunis, en un collectif
d’associations, pour commémorer le 50ème anniversaire des très graves
évènements du 17 octobre 1961, de ce qu’on a pu qualifier de « crime
d’État ».
Je me disais, en venant ici, que si j’avais eu
l’idée de demander aux gens que je rencontrais ce qu’évoquait pour eux le 17
octobre 1961, j’aurais eu probablement peu de réponses, car tout a été fait
pour que cette date n’évoque aucun souvenir précis pour les Français.
Au lendemain des faits, la censure s’est
brutalement abattue : livres, films, photos interdits de parution,
premiers témoignages censurés, témoins vigoureusement dissuadés de parler,
suspension, mutation disciplinaire pour les policiers républicains qui ont eu
le courage de s’exprimer. Puis, jusqu’à présent, une faible couverture
médiatique, alors que les faits, en raison du travail d’historiens, de
cinéastes, de photographes étaient de mieux en mieux connus
Mais 50 ans après, aujourd’hui, les choses ont
heureusement changé : les journaux parlent abondamment de ce qui s’est
passé, les commémorations sont nombreuses. Pour ne retenir que deux évènements d’actualité, l’inauguration à
Nanterre d’un boulevard du 17 octobre, la première visite de l’élu des
primaires citoyennes, réservée à une
cérémonie à Clichy, témoignent de la reconnaissance publique de la tragédie de
1961.
Quelques mots pour se remémorer les enjeux de
l’époque. La guerre d’Algérie touche à sa fin, elle finira dans quelques mois,
en 1962.Il y a eu en avril 1961 un putsch de généraux qui a mis la République
en péril, l’OAS est à l’œuvre à Paris et des attentats du FLN contre la police
ont fait une trentaine de morts. Tout cela provoque une extrême tension.
Au gouvernement, le premier ministre est Michel
Debré dont les sympathies pour l’ « L’Algérie française » ne
sont pas un mystère, Roger Frey est ministre de l’Intérieur, et Maurice Papon, dont on
ne connaît pas encore la responsabilité envers la communauté juive en 1942, est
Préfet de police
De l’autre côté, la population algérienne, très
concentrée en région parisienne, vivant misérablement dans des bidonvilles
(Nanterre, Aubervilliers, Argenteuil, Bezons…),et qui finance à 80%
l’insurrection algérienne. Il suffit d’un élément déclenchant pour que carte
blanche soit laissée à la police et qu’une répression terrible arrive.
Cet élément, c’est un couvre- feu de discrimination
raciale visant exclusivement la population nord-africaine, c’est à dire
« les Français musulmans d’Algérie ».
La réponse au couvre-feu est une manifestation
pacifique : hommes, femmes enfants, convergent de la banlieue vers Paris.
Pour affirmer leur dignité, ils ont revêtus leurs plus beaux
habits : « On se serait cru à une fête de mariage », dira
une des participantes.
Prévoyant les risques encourus, notre camarade Paul
Rousseau et le Syndicat général de la police font passer un
message : « Camarades du SGP, ne vous laissez pas aller à des
actes qui ne sont pas en accord avec votre manière de penser. Groupez-vous
autour de vos cadres syndicaux. Agissez comme des hommes représentant la
justice et non comme des justiciers. »
La suite est connue. Je laisse la parole à
quelqu’un qui a vécu l’événement et qui témoigne : « Ils
descendaient tranquillement des bus, les mains vides » ; A
l’intérieur du car de police : « J’entendais des coups de feu…Je
voyais les policiers jeter des corps à la Seine par dessus la rambarde du pont.
Des manifestants rebroussaient chemin et s’enfuyaient….La radio annonçait que
des policiers avaient été tués.les officiers nous disaient d’agir en notre âme
et conscience, que c’était de la légitime défense..Pas un policier n’a été tué
ni blessé. »
Deux ou trois morts, au cours d’une
« malheureuse soirée », dira Papon, en termes très… pudiques. Au
moins deux cents morts de l’avis général des historiens, matraqués à mort, tués
par balles, jetés à la Seine, trouvés pendus à des arbres. Un véritable
massacre, onze mille arrestations…
Même la justice française devra reconnaître
que « Certains membres des forces de l’ordre, relativement nombreux,
ont agi avec une extrême violence, sous l’empire d’une volonté de représailles »,
et même « à froid »dans les centres d’internement. Les dénégations de
Papon, parlant de « morts mythiques », n’auront pas suffi.
L’occultation, l’étouffement de la vérité sur l’une
des pages les plus noires de la 5ième République ne sont plus de mise.
Que nous reste-t-il à faire ? Une direction
nous est donnée par une pétition qui circule sur le Net et qui est signée en
particulier par de grands résistants comme Raymond Aubrac, Stéphane Hessel,
Edgar Morin. C’est « un appel pour la reconnaissance officielle de la
tragédie du 17 octobre 1961 à Paris. Après tout, Jacques Chirac avait reconnu
en1995 la responsabilité de l’État français dans la déportation des Juifs
(Papon déjà !).L’actuel chef de l’État n’aime guère que la République
admette ses fautes et ne cache pas son hostilité à ce qu’on appelle la
repentance.
Aujourd’hui on pourrait réexaminer la question. La gauche en 1999 est à l’initiative d’une loi reconnaissant la
guerre d’Algérie. Elle pourrait évoquer octobre 1961 dans le cadre de
délibérations au Sénat, où elle est majoritaire.
Quoi qu’il en soit, une page a été tournée. Nul ne
saurait prétexter l’ignorance. On peut à nouveau parler de paix et d’amitié
entre les peuples. Comme l’écrit Mehdi Lallaoui, réalisateur d’un film sur le
sujet : « Le 17 octobre a fini par devenir une mémoire commune,
partagée, reprise par tous les citoyens. C’était nécessaire pour qu’on
construise des passerelles de fraternité entre la France et l’Algérie. On ne
demande pas que la France se mette à genoux pour dire sa repentance. On ne
souhaite ni vengeance ni punition. On aimerait simplement que l’État nomme ce
qui s’est passé un jour. »