de la Ligue des Droits de l’Homme
janvier-février 2014
La prochaine réunion mensuelle aura
lieu le mardi 11 février 2014 de 18 h à 19h30,
dans les locaux de la FAL,
45 rue du capitaine Maignan, à Rennes.
Elle sera précédée d’une réunion du
bureau, à 17h 30. Tous les ligueurs y sont
cordialement invités.
Ordre du jour de la prochaine réunion :
· Les actions en cours
· Bilan financier et adhésions
· Les projets de la section
· Interpellation des candidats aux élections municipales
· Questions d’actualité
· Bilan financier et adhésions
· Les projets de la section
· Interpellation des candidats aux élections municipales
· Questions d’actualité
Au sommaire de cette édition :
· Trois textes lus à la journée d'hommage à Victor et Ilona Basch, p. 2
· Texte de la conférence d'André Hélard dressant le portrait de Victor Basch en militant, p. 6
· A propos du centenaire de la première guerre mondiale, p. 10
· Communiqué « Plus jamais seul » sur la vidéo-surveillance, p. 12
· Communiqué « tirer les leçons de l’histoire », p. 14.
· Jour de colère, nuit pour tous, analyse de Jean Birnbaum, p. 16
· La Boutique, p. 17
· Texte de la conférence d'André Hélard dressant le portrait de Victor Basch en militant, p. 6
· A propos du centenaire de la première guerre mondiale, p. 10
· Communiqué « Plus jamais seul » sur la vidéo-surveillance, p. 12
· Communiqué « tirer les leçons de l’histoire », p. 14.
· Jour de colère, nuit pour tous, analyse de Jean Birnbaum, p. 16
· La Boutique, p. 17
Nous avons souhaité publier les textes des conférences ainsi que les textes lus au cours de la journée. Ils seront répartis dans plusieurs éditions de notre bulletin. En attendant, il est possible de visionner les vidéos de la journée sur notre blog. http://ldhrennes.blogspot.fr/2014/01/journee-victor-et-ilona-basch.html
Les propos de Victor Basch sonnent et résonnent encore au fil de l’actualité de ces dernières semaines : propos racistes, antisémites, xénophobie, rumeurs...
Autant de Bastilles à combattre.
Annie Clénet
Textes
de Victor Basch, lus le 10 janvier 2014 lors de la journée d'hommage
au lycée Victor et Hélène Basch
Cette
journée fut ponctuée de textes lus par les élèves du lycée.
Merci à Amélie, Maëlle, Éloïse, Louise, Léa, Marie, Rafaël,
Cécile, Annaig, Solène, Elixène et Agathe pour leur belle
implication. Un grand merci également aux violoncellistes qui nous
ont tant émus.
«
Naissance d’un engagement »,
par
Victor
Basch
Texte
lu par Amélie et Maëlle
Au
Congrès d’Amiens, en 1933, Basch évoque la façon dont l’affaire
Dreyfus a déterminé son engagement (Cahiers
des Droits de l’Homme, 20 septembre 1933).
Passant
à Paris en octobre 1897, j’entendis, pour la première fois,
affirmer que le capitaine Dreyfus, que je ne connaissais et dont
j’avais suivi le procès sans aucune passion, avait été condamné
injustement et illégalement. Je venais à ce moment de soutenir mes
thèses, j’avais quelques loisirs, et je les consacrai à étudier
l’Affaire, comme l’étudièrent, à ce moment, tant
d’intellectuels, en toute objectivité scientifique. Et, au bout de
mon étude, j’avais acquis la conviction qu’Alfred Dreyfus était
innocent.
Il
se produisit alors en moi un phénomène étrange. Moi qui,
jusqu’alors, n’avais, à proprement parler, éprouvé aucun
sentiment social, qui n’avais vécu que pour moi-même, pour mon
enrichissement intérieur, pour ma science, pour mon enseignement;
pour mes livres et pour ma famille, je me sentis transformé. A me
dire que, là-bas, agonisait dans les fers, sous la « double boucle
», un innocent, j’ai senti comme une brûlure qui me dévorait
tout entier. Il me devenait impossible de me livrer à mes
occupations habituelles. La science, la poésie, l’art, certes !
Mais l’innocent qui, dans son île maudite, semourait dans la honte
et le désespoir !
Comment
vivre avec la conscience de cette monstrueuse iniquité ? N’était-ce
pas en être complice que de ne pas consacrer ce que j’avais en moi
d’énergie, d’intelligence, de force de propagande, au sauvetage
de l’homme de la douleur ? Et n’avais-je pas le devoir de
sacrifier à cette tâche tout ce qui m’était cher, ma
tranquillité, celle des miens, ma situation
et
jusqu’à ma vie même ?
«
Le portail de la demeure du professeur Basch. Au coeur de la tempête
déchaînée par le Groupe Antisémite rennais, le professeur Basch,
sur le pas de sa porte, lit une lettre de menaces. »
(Photographie
publiée en août 1899 dans le journal anglais Black
and White)
C’est
ainsi qu’à partir de 1898, je vécus comme une vie nouvelle. Je
fondai avec quelques amis la Section rennaise de la
Ligue des Droits de l'Homme. Je fus avant, pendant et après
le procès de Rennes, en butte à des attaques, à des outrages, à
des menaces et des voies de fait qui me sont un titre de fierté.
J’adhérai,
sous l’influence de Jaurès que ma maison eut la joie d’abriter
pendant les tragiques semaines du procès, au parti socialiste. Je
fis de mon existence deux parts : l’une consacrée à ma fonction
et à mes travaux et l’autre à la propagande.
J’ai
parcouru de part en part la Bretagne et j’ai aidé à planter, avec
des camarades
dont
beaucoup ne sont plus, sur cette terre dure l’arbre de la
démocratie. J’étais en proie à une justicite
aiguë
(sourires)
qui est la caractéristique du ligueur ; à la manie de ne pouvoir
supporter que, quelque part dans le monde, il y eût des hommes, à
quelque nation, à quelque race, à quelque religion qu’ils
appartinssent, qui étaient victimes d’actes illégaux et
arbitraires, que, dans un point quelconque du globe, il y eût des
peuples victimes de l’oppression.
«
Moi Juif, moi Hongrois… », par Victor
Basch
Texte lu par Éloïse et
Louise
Après le banquet du 14
juillet 1899, Pocquet, rédacteur en chef du Journal de Rennes s’en
est pris violemment à Basch : « Nous n’admettons pas, a-t-il
écrit, qu’un Hongrois se lance dans des querelles politiques qui
ne regardent que nous autres Français de France. » Basch lui répond
ici dans L’Avenir de Rennes des 27-28 juillet 1899, dans un long
article qu’il dit avoir « improvisé en une heure ». M. Pocquet
m’accuse d’être […] le chef du parti républicain
révisionniste, mais surtout d’être juif et Hongrois ! Je vais lui
répondre sur chacun de ces deux points. […] Je ne suis pas le chef
du parti républicain révisionniste, pour la bonne raison que ce
parti n’existe pas. Nous avons été en janvier 1898 sept hommes
doués de quelque clairvoyance et de quelque courage à réclamer la
révision d’un jugement entaché d’illégalité. Nous sommes
restés longtemps complètement isolés et en butte aux injures que
l’on sait. Depuis le faux Henry, notre nombre n’a cessé de
s’accroître et il comprendra bientôt tous ceux qui ne se refusent
pas à l’évidence. […] Pour moi, j’ai signé toutes les
protestations, j’ai essayé de convaincre individuellement un
certain nombre de nos amis, et j’ai, dans les réunions organisées
par la Ligue des Droits de l’Homme et du Citoyen, pris plusieurs
fois la parole. Dans tout cela il n’y a pas de chef. Ce sont nos
adversaires qui m’ont distingué parmi les promoteurs du mouvement
révisionniste rennais et mon piédestal est fait uniquement des
pierres qu’ils m’ont lancées.
A quoi est dû maintenant
l’honneur de cette distinction ? Oh, je ne me fais là-dessus
aucune illusion. J’ai été sacré chef par nos ennemis parce
qu’ils me croyaient plus facile à atteindre que mes compagnons de
lutte. Je suis en effet né de parents juifs, ce qui est évidemment
de nos jours une tare indélébile. Je ne me donnerai pas le ridicule
de me défendre de ce chef. Mes opinions religieuses m’appartiennent
en propre. Quant à la qualité de juif en tant que race — bien que
je ne croie pas au concept de race — je la revendique hautement,
surtout depuis que cela ne laisse pas de présenter quelques
inconvénients.
Passe encore pour juif,
mais « hongrois », « fraîchement naturalisé », « Français
d’hier » !
Là encore je
n’esquisserai même pas de plaidoyer. J’ai quitté la Hongrie à
l’âge de deux ans, et j’y suis revenu à trois reprises, jamais
plus longtemps que pour cinq semaines. […] Que si je disais que je
ne me suis jamais senti que Français ; que j’ai tâché de remplir
tout mon devoir de Français ; qu’à l’instinctive assimilation
par la langue, par le milieu, par l’éducation et l’instruction,
j’ai ajouté, en pleine conscience, un acte public par lequel j’ai
demandé à ce pays de m’adopter en m’engageant à le servir de
toute mon intelligence et de toute ma volonté — si je disais cela,
ce serait évidemment de la déclamation. Aussi je ne le dis pas.
Mais ce que je dis, c’est ceci ! Juif, originaire de la Hongrie,
soit ! Vous me reprochez des choses dont je ne suis aucunement
responsable. Ce n’est pas moi qui me suis fait naître dans telle
ou telle religion, dans telle ou telle race, dans telle ou telle
contrée. Mais j’accepte le reproche, quelqu’absurde qu’il me
paraisse. Mais en quoi, je vous le
demande, cela
infirme-t-il la vérité de ce que j’avance, la bonté de la cause
que je défends, l’infaillibilité des raisons sur lesquelles je
m’appuie ? Quelque peu autorisée que soit la bouche qui prononce
des paroles de justice et de vérité, la justice et la vérité
demeurent. Lisez les pièces que nous vous apportons, examinez-les,
réfutez-les ! Mais ne croyez pas nous répondre en traitant l’un
de nous de juif hongrois.
«
Au ban les bourreaux ! »,
par
Victor
Basch
Texte
lu par Marie, Rafaël et Cécile
Ce
texte d’une lucidité prophétique (dont nous ne publions ici
qu’une partie) a été publié dans les Cahiers
des droits de l’homme, le 10 avril 1933,
Bien
candides furent ceux qui imaginèrent que, leur triomphe une fois
remporté, les nazis seraient assez maîtres d’eux-mêmes pour ne
pas en abuser.
Pour
les bandes hitlériennes, la victoire signifiait places, argent et
représailles. Représailles contre ceux qui, depuis que le Führer
avait commencé sa propagande, tentèrent d’y faire obstacle.
Représailles contre les démocrates timides, contre les
bureaucratiques socialistes, contre les héroïques pacifistes,
contre les équivoques communistes et surtout contre cette minorité
qui, victime impuissante de préjugés séculaires, plus profondément
enracinés dans l’âme germanique que dans toute autre, et de
féroces jalousies économiques, fut, de tout temps, le bouc
émissaire de tout ébranlement social, contre les Juifs, peuple élu
de l’éternelle douleur. Ce fut,
c’est, en Allemagne, une explosion de bestialité et, en même
temps, d’hypocrisie, dont on aurait cru
incapable
une nation, à tant d’égards hautement civilisée, et dont tous
les hommes en qui n’est pas éteinte toute étincelle d’humanité,
demeurent inconsolables.
On
a beau se représenter la tragédie que, depuis 1914, a vécue
l’Allemagne ; beau se dire qu’après les terribles années de
guerre, après la famine, après la cuisante humiliation de la
défaite, après un traité draconien, imposé par la force, après
les ruines de l’inflation, après l’occupation de la Ruhr, après
la crise, réduisant des millions d’êtres au chômage et aux pires
privations, il était impossible que l’âme allemande ne fût pas
désaxée, ensauvagée, profondément intoxiquée ; beau alléguer
que les ex-vainqueurs auraient dû prévoir cette réaction, tendre à
la grande malade une main secourable ; on a beau essayer d’être
juste, impartial, de se mettre à la place des Allemands, de
s’infuser pour un instant, dans leur sensibilité et leur
mentalité, on ne peut pas, devant le spectacle que nous offrez
l’Allemagne d’aujourd’hui, ne pas éprouver un sentiment de
répulsion, de révolte et d’horreur. […] La vérité est que les
récits les plus terrifiants donnés par les journaux sont au-dessous
de la réalité. A lire les lettres qui circulent en Tchécoslovaquie
et en Autriche et dont la Ligue des droits de l’homme a eu
connaissance, à entendre les confidences de témoins irrécusables
et de victimes qui, par miracle, ont pu échapper à leurs bourreaux,
on se convainc que, depuis les grandes persécutions du Moyen-Âge,
que depuis la folie dévastatrice de la Guerre de Trente Ans,
l’Histoire n’eut pas la honte d’enregistrer des excès pareils.
[…] Et ne savons-nous pas que, dans les corps de garde des troupes
d’assaut et dans les camps de concentration, notamment celui de
Dachau, commandé par le garde-chiourme Von Epp, rival militaire du
boucher Goering, se sont passées et se passent des choses qu’une
plume respectueuse d’elle-même se refuse à
rapporter
? […] L’Europe, le monde, vont-ils assister à cela sans essayer
d’arrêter le fléau ?
Des
propos encore d’actualité
Par
André Hélard
Comment
devant cet implacable tableau de la réalité du nazisme, et cette
impeccable analyse de toutes les frustrations qui ont contribué à
le porter au pouvoir, ne pas penser à un certain climat
d’aujourd’hui, et à ce qui le nourrit ?
Comment,
dans ce climat, ne pas faire sienne la réflexion inspirée à Jaurès
par les pires expressions d’antisémitisme auquel donna lieu
l’affaire Dreyfus : «
Il me semble que je suis au bord d’une mare peuplée d’êtres
bizarres et difformes qui jamais n’étaient montés au jour. Et
tout à coup une lourde pierre tombant au fond de l’eau trouble
fait monter par milliers des êtres inconnus, des formes étranges de
sottise et de scélératesse, des têtards ridicules et mauvais,
gonflés de bêtise et de venin » ?
Comment
enfin ne pas se rappeler la terrible phrase de Bertolt Brecht, dans
l’épilogue de La résistible ascension d’Arturo Ui: «
Vous, apprenez à voir, au lieu de rester les yeux ronds. Car le
ventre est encore fécond d’où est sortie la bête immonde » ?
A
Rennes au temps de l’affaire Dreyfus
Portrait
de Victor Basch en militant, par André
Hélard
Puisque
cette journée d’hommage doit être aussi l’occasion de réfléchir
sur le militantisme, à partir de son exemple, ce que je voudrais
tenter d’esquisser ici, c’est un portrait de Victor Basch en
homme engagé.
Mais
d’abord, en quelques mots, qui est ce Victor Basch qui découvre
alors l’affaire Dreyfus, comme il l’a si bien raconté au Congrès
d’Amiens en 19331 ? Né à Budapest en
1863 (en 1897-98 il a donc 34-35 ans), et d’origine juive, il a
émigré en France avec ses parents à l’âge de 2 ans et demi
(c’est donc un de ces « étrangers qui ont fait la France » que
nous présente si bien le récent
Dictionnaire dirigé
par Pascal Ory2).
Après de brillantes études, il a passé l’agrégation d’allemand
et une licence de philosophie, et a été nommé en 1889 chargé de
cours (de littérature étrangère) à la Faculté des lettres de
Rennes. C’est donc là que je le retrouve au
temps de l’affaire Dreyfus.
Dans
un texte de 19383,
il évoque ainsi les débuts de son engagement : « avec quelques
collègues4,
nous résolûmes de suivre de près l’Affaire et d’étudier tous
les documents avec le sévère scrupule que nous apportions à nos
recherches scientifiques. Nous acquîmes la conviction que Dreyfus
était innocent. » En
ce moment premier,
c’est d’abord le
courage intellectuel de
Basch qui me frappe. Il s’agit ici de penser
à contrecourant,
ce qui n’est jamais évident.
Devenir
dreyfusard en 1897-98, c’est en effet penser à contre-courant de
tout ce que proclament le pouvoir politique et les chefs de l’Armée.
A savoir que l’honneur de l’Armée, donc la sécurité de la
France, interdiraient de supposer que le jugement du Conseil de
guerre de 1894, par lequel le capitaine Dreyfus a été condamné au
bagne à perpétuité pour trahison au bénéfice de l’Allemagne
pourrait être à la fois illégal
et totalement inique. A contre-courant aussi de ce que
répète à satiété la presse rennaise, nationaliste et antisémite,
et qui va de Dreyfus est
forcément coupable, puisque juif à même
s’il n’est pas vraiment coupable, ce n’est qu’un juif, après
tout ! Ceux qui veulent penser autrement, les
dreyfusards, ne seraient que de mauvais français, vendus au «
cosmopolitisme judéo-maçonnique ». Être dreyfusard, c’est donc
d’abord une attitude
intellectuelle, qui consiste à opposer à la raison
d’État, comme à tous les dogmes qui interdisent la discussion au
nom d’une autorité supérieure, la rigueur d’un raisonnement
appuyé sur le sens critique. Ce que l’on appelle à l’époque,
d’une belle expression, « l’esprit d’examen ».
Et
voici le deuxième temps, et c’est d’un autre courage qu’il va
être question : Une fois acquise la conviction que Dreyfus était
innocent, « nous nous sommes, écrit Basch, lancés à corps perdus
dans la bataille. » ll s’agit maintenant de convertir
ce qui n’était encore qu’intime en un geste public. Franchir
le pas qui mène de la pensée à l’action, avec les
risques que cela suppose.
S’engager,
ici, c’est d’abord signer une pétition, le premier geste public,
bien souvent encore aujourd’hui, de tout engagement. En janvier
1898, après le scandaleux acquittement du vrai coupable, Esterhazy,
Zola a donné le signal du refus par son fameux J’Accuse.
Dans
les jours qui suivent, ils sont des centaines, universitaires,
savants, écrivains, artistes, à lui emboîter le pas en signant,
dans L’Aurore ou
dans Le Siècle,
ce qu’on appela alors les « protestations » dont les signataires
demandaient la révision du procès de Dreyfus, et que l’on appelle
plus souvent aujourd’hui la pétition des intellectuels.
Mais
signer cela à Paris (comme le firent Anatole France, Proust, ou
Monet) est une chose, la signer dans une ville de province, comme
Rennes, en est une autre. C’est affronter les préjugés de
l’écrasante majorité des habitants de la ville, où
l’antisémitisme (dans une ville où il y en tout et pour tout onze
familles juives…) s’exprime quotidiennement dans la presse locale
avec parfois une extrême violence : « Il faut, selon tel journal,
restituer la France aux Français, mettre les Français à l’aise
chez eux », ou, selon tel autre, « rendre à la patrie sa vitalité
en éliminant sans pitié ses éléments de mort ». C’est-à-dire
éliminer « le cosmopolitisme et les habitants des ghettos » ou «
éconduire cette plaie grouillante de sauterelles juives qui nous
sucent jusqu’aux moelles »… Autant dire que cette fois, c’est
de courage moral et
physique qu’il faut faire preuve ! Que l’on en
juge : vont s’ensuivre cinq jours de manifestations5,
de plus en plus violentes, dont Basch est, en tant que juif, la
principale cible. Son nom est conspué dans les rues, des étudiants
demandent au Recteur son déplacement ou sa démission. La presse
rennais va de l’allusion fielleuse — « comment des étrangers
arrivent-ils si facilement à forcer les portes de l’Université
quand tant de bons Français n’y arrivent pas6 ?
» — à la pire violence verbale : « Le citoyen Basch veut-il
contraindre les Rennais à aller l’enfumer dans sa tanière ?7 »
Comment s’étonner que « de bons Français », l’esprit échauffé
par cette prose, passent un jour à l’acte, comme le raconte la
journaliste Séverine8 :
Dans
la matinée, un groupe, sous ses fenêtres, était déjà venu
l’avertir :
-
Tu n’iras pas faire ton cours ! A bas Basch ! A bas Basch !
A
la croisée, l’interpellé se pencha :
-
D’abord, je vous défends de me tutoyer ! Ensuite, changez donc
votre cri ; vous avez l’air de gâteux ! Criez Basch à l’eau !
c’est bien plus euphonique. Quant à mon cours, nous verrons çà !
Des
étudiants s’en furent devant le Palais des Facultés9 barrer
la route au maître s’en allant faire son cours. Basch ne dut qu’à
l’intervention de deux de ses collègues de ne pas être jeté dans
la Vilaine, puis il s’engagea sous les cannes levées, parmi les
clameurs d’ « A mort les Juifs ! » Il fut sauvegardé par le
prestige du courage ; entra, fit son cours, ressortit par la grande
porte, et regagna à pied sa maison, dans le lointain faubourg.
Autant
dire que l’intimidation n’a pas d’effet sur Victor Basch. «
Coups de langue ou coups de pierres » écrit-il, « que valent pour
des hommes de conscience des considérations de cet ordre à côté
du désir de proclamer la vérité ? et il conclut tranquillement
: « je me prépare
à la lutte ».
Mais
cela ne suffit pas encore. « Nous étions sept contre soixante-dix
mille » dira-t-il plus tard. C’est héroïque, certes, mais on ne
défend pas une cause tout seul, ni à sept. Il faut donc examiner la
situation, en quelque sorte la problématiser : Ce n’était pas les
sept intellectuels que nous étions qui pouvaient affronter les
haines contre nous conjurées de toute une ville … » « sur qui
appuyer notre action ? » « comment recruter ? »
L’engagement
est aussi une
affaire d’intelligence politique et d’énergie. Pour
espérer agir sur les événements, il faut élargir le minuscule
noyau dreyfusard initial. Et cela est compliqué.
Et
pourtant… le 22 janvier 1899, est fondée, chez Basch (tout un
symbole !) la section de Rennes de la LDH, une des premières en
France. Et parmi les 21 membres fondateurs, il y a, à côté de
Basch, de ses six collègues et de deux de leurs étudiants, des
protestants, des francs-maçons, quelques fonctionnaires républicains
très modérés, refusant tous les excès de l’antidreyfusisme, et
des ouvriers. Et cette section va s’étoffer au fil des mois, si
bien que lorsque le 3 juin, quand Dreyfus est renvoyé devant le
Conseil de guerre de Rennes, Basch peut dire : nous sommes prêts.
Supplément
littéraire illustré « L'affaire Dreyfus à Rennes »
Il
serait trop long de raconter en détail comment s’est constitué
cette sorte de petit Front populaire avant la lettre et à l’échelle
rennaise. Il fallut, selon les mots de Basch, faire « de la
propagande » afin que « la lumière pénètre les esprits », nous
dirions aujourd’hui de la pédagogie, et cela prit la forme d’une
dizaine de conférences (sur invitation) à la Bourse du Travail.
Drôle d’aventure pour ces professeurs d’université (dont la
plupart, selon le mot de Basch « n’avaient jamais vu de près un
ouvrier »). C’est encore lui qui ouvrit le feu10,
et l’on nous dit que son « verbe éclatant » fut pour beaucoup
dans le succès de l’entreprise, où chaque conférence fut
l’occasion d’engranger de nouvelles adhésions.
Même
encore très minoritaires, les ligueurs rennais peuvent désormais
s’appuyer sur « la force des ouvriers » pour être à leur tour «
maîtres de la rue » : « les étudiants nationalistes qui venaient
presque tous les soirs faire des manifestations devant mes fenêtres
trouvèrent à qui parler. » Comprenons qu’il se firent
copieusement « rosser » …
Et,
chose totalement impensable au début de cette histoire, le 14
juillet 1899, la section peut organiser, à l’auberge des Trois
Marches, un banquet dit républicain démocratique, en réalité
carrément dreyfusard, dont le succès dépasse les espérances de
ses promoteurs : « J’avais compté sur 150 personnes, et voilà
que nous sommes 260 ». Des toasts sont portés, des discours
prononcés, et le dernier, le plus marquant est encore celui
de
Basch. Quatorze juillet et défense de la République obligent, il
semble ne parler que de l’éternel retour de l’idéal
républicain, symbolisé par la prise de la Bastille le 14 juillet
1789, sans cesse réprimé et sans cesse renaissant. Mais au fur et à
mesure qu’il évoque 1830, 1848 ou 1871, où toujours une «
poignée d’hommes, journalistes, savants, se lève » pour «
dénoncer l’injustice », pour « parler au peuple » et pour
vaincre les forces de la Réaction, ses auditeurs comprennent bien,
même si l’Affaire n’est évoquée que par allusion, qu’ils
sont en tant que dreyfusards la dernière réincarnation de cette «
poignée d’hommes » porteurs des valeurs de la République.
Trois
semaines après ce mémorable 14 juillet, commençait le procès
Dreyfus.
Les
lettres de Basch à son épouse Ilona11 nous
font connaître, pour ainsi dire de l’intérieur, et à chaud, la
façon dont il vit ces moments intenses. Et c’est encore de son
rapport au militantisme qu’il est ici question.
Les
servitudes d’abord, et les petits côtés, qu’il n’est pas
inutile d’évoquer ici, pour signifier que la vie de Basch ne fut
pas faite que des moments « héroïques » qu’il se plaît à
évoquer. Il lui faut faire face à des problèmes qui sont ceux de
toute section de la Ligue engagée dans une action sortant un peu de
son ordinaire : recevoir les brochures dreyfusardes, les distribuer,
rencontrer de nombreux journalistes, accueillir tel envoyé de Paris,
venu se rendre compte, pour la Ligue, de ce qu’est Rennes, penser à
l’hébergement
des
Parisiens qui vont venir pour le procès. « Je suis toute la journée
accablé de lettres et de télégrammes me demandant des logements et
je cours pour en chercher », écrit Basch. Pendant tout cela il a
toujours son activité professionnelle, à savoir 150 copies de
«
bachot. » à corriger, et l’on comprend qu’il parle de «
journées folles », où il est « pris, archi-pris », qu’il passe
« non à marcher mais à courir dans les rues » et se dise «
éreinté». Pas étonnant que le 14 juillet, au moment de prononcer
son discours il se dise « très fatigué, et migrainé » ! Bref,
Victor Basch était un homme, et un militant comme les autres…
Pourtant rien de tout cela ne le détourne de son engagement. Au
contraire, c’est
avec
enthousiasme, exaltation, et finalement bonheur et joie qu’il
découvre une vie nouvelle, celle dont il rêvait peut-être
secrètement ? « Ma vie est
décousue,
agitée et intéressante » écrit-il à Ilona. « La vie que tu me
décris, me semble calme, reposante, un peu ennuyeuse si je la
compare à la vie fiévreuse que je mène. » C’est que cette vie a
pris une dimension jusqu’alors inconnue de lui : « Je suis
arrivé à la
notoriété.
Les paroles que je prononce, les articles que j’écris portent. En
un mot, je suis aujourd’hui un homme connu. »
Sans
parler du plaisir de voir le changement d’attitude des autorités à
son égard : quand le Préfet, qui le reçoit à propos de
l’organisation du banquet, se confond en amabilités, « je me
suis, dit-il, royalement amusé en comparant cette entrevue à celle
de l’année dernière ». Ce n’est pas encore tout : aux «
journées folles » de l’avant procès succèdent les « journées
inoubliables » du temps du procès. L’émotion de voir Dreyfus,
bien sûr, à la première apparition duquel il éprouve « le grand
frisson » quand il proteste de son innocence, mais aussi Mme Dreyfus
qui le reçoit « comme une sorte de parent honoraire ». Et puis
Jaurès qui lui a demandé de « descendre » chez lui, et qui le
traite « comme un ami et comme un frère ». La maison est pleine de
dreyfusards : « il se tient chez moi des conciliabules entre Jaurès,
Mathieu, Labori et Lazare ». Aux côtés de ceux qu’il appelle «
des hommes admirables qui sont l’honneur de l’humanité », il a
le sentiment de vivre au
plus
près de l’événement qui est à l’origine de son engagement. Le
procès terminé, et mal, puis que Dreyfus est à nouveau condamné,
Victor Basch ne reviendra pas à sa vie paisible d’avant. Cette
période de sa vie l’a changé pour toujours. A Reinach il écrit
en guise de voeux pour 1900 : « Puisse l’année qui va naître
nous apporter non pas la paix morne et déshonorante que tant de nos
concitoyens réclament, mais la bonne lutte, les batailles ardentes
et généreuses ». Et à Zola : « Beaucoup d’entre ceux que le
drame de l’Affaire avait bouleversés sont revenus à leurs lâches
quiétudes de savant ou d’artiste.
Mais
tant que des êtres qui nous valent mille fois, sont écrasés sans
défense, par la meule sociale, nous avons le devoir sacré de
lutter, par la parole, par la plume, par
toutes les armes dont nous disposons. »
Ce
sera un des maîtres mots de la Ligue dans les années suivantes : «
Partout où il y a une injustice, il y a une affaire Dreyfus ». Loin
d’être finie avec l’Affaire, l’histoire des engagements de
Victor Basch ne fait que commencer. Mais il reviendra toujours, par
le souvenir, « à Rennes au temps de l’affaire Dreyfus », comme
lorsqu’il écrit en 1938 dans les Cahiers
des Droits de l’Homme : « Je viens de fouiller
dans ma mémoire, et voici
que
j’ai vu ressurgir des ombres du passé la plus belle période de ma
vie — la plus belle parce que la plus militante et la plus
dangereuse. »
Victor
Basch est tout entier dans ces derniers mots, et cela ferait une
excellente conclusion. J’aimerais cependant que celle-ci nous
ramène plus clairement « à Rennes au temps de l’affaire Dreyfus
», et précisément en ce 14 juillet 1899, au moment où Basch
prononce les derniers mots de son discours :
«
Citoyennes, citoyens, Les Bastilles anciennes et les Bastilles
nouvelles, sans trêve, sans défaillance, inlassablement, nous les
démolirons.
Et
nous ne nous arrêterons que jusqu’à ce que nous tombions sur la
route, non cependant sans avoir remis le flambeau à nos fils, qui le
porteront d’une main aussi ferme et aussi vaillante que nous. Sans
doute eux non plus ils ne pénétreront pas dans la terre promise.
L’avenir
que nous rêvons est un idéal et comme tout idéal, il est
impossible de l’atteindre dans toute sa beauté et dans toute sa
plénitude.
Mais
nous avons confiance dans l’immortel effort de l’esprit humain,
de la volonté humaine, nous avons confiance dans l’avenir meilleur
que nous aidons à préparer, et c’est à cet avenir que je lève
mon verre. Je bois à tous les destructeurs de Bastilles, je bois à
une humanité plus belle, plus juste, plus libre, plus fraternelle. »
1 Voir
ci-dessus : « La naissance d’un engagement ».
2 Dictionnaire
des étrangers qui ont fait la France,
Bouquins, 2013.
3
« Les premières sections. Rennes », dans les Cahiers des
droits de l’homme, 1938.
4 Il
s’agit de Jules Andrade, professeur de mathématiques, Jules Aubry,
professeur de droit, Jacques Cavalier (chimie), Georges Dottin
(philologie), Henri Sée (histoire) et Pierre Weiss (physique).
5 Du
16 au 20 janvier 1898.
6 Le
Journal de Rennes.
7 Le
Patriote Breton.
8 Vers
la Lumière, Stock,
1900.
9 C’est
aujourd’hui le Musée des Beaux-Arts, au bord de la Vilaine.
10 Avec
une conférence sur Le
Peuple de
Michelet.
11 Elle
est partie à la mi-juin en Autriche avec les enfants, pour un séjour
prévu de longue date.
Centenaire
de la première guerre mondiale, par Yves Tréguer
Nous
approchons du centième anniversaire du déclenchement de la première
guerre mondiale. Toute l’année seront évoqués, à nouveaux frais
une guerre qui peut nous paraître lointaine, mais qui n’est pas,
dans les mémoires, si loin de nous.
En
2004 le maire de Le Ferré (pays du caporal Lucien Lechat, fusillé
pour l’exemple le 17 mars 1915, réhabilité en 1934) rappelait que
bien des habitants de sa commune avaient connu la soeur du caporal
Lechat, qui, avec l’aide de la LDH, avait lutté pour la
réhabilitation de son frère. Dès 1936, Louis Guilloux, dans sa
nouvelle « Douze balles montées en breloque » évoquait le cas de
François Laurent, de Mellionnec, fusillé pour l’exemple passé du
statut de « mort par la France » à celui de « mort pour la France
». Chaque année des associations entretiennent la mémoire de ces
soldats. Depuis quelque temps, des débats passionnés opposent des
historiens sur une question centrale. Certains, regroupés autour de
l’Historial de Péronne, pensent que chez les combattants existait
une « culture de guerre » et une acceptation du sacrifice, avec
toute l’ambiguïté de ce terme aux résonances religieuses et/ou
nationalistes.
D’autres
historiens, entre autres André Loez et Nicolas Offenstadt parlent
d’une épreuve subie et des « refus de la guerre ». L’heure est
venue pour notre pays de réexaminer de façon complète l’ensemble
des cas des « fusillés pour l’exemple ». Récemment, le
Président de la République a proposé quelques mesures
timides, entre autres une place
aux
Invalides, l’accès aux dossiers des conseils de guerre numérisés
et disponibles…
La
commission Prost propose, face à la complexité juridique du
dossier, une déclaration solennelle et symbolique de « pardon »,
mot qui paraît faible, malheureux, voire insultant pour certains
cas, tout en reconnaissant qu’« il ne peut y avoir de véritable
réhabilitation que judiciaire ». Pour l’année en cours, du
travail reste à faire. Il est indispensable de
veiller
à ce que soient évoqués le cas des victimes oubliées de ce qu’on
appelle, par
une
litote, « les exécutions extrajudiciaires », probablement plus
nombreuses que celles des condamnés à mort fusillés, et à
s’intéresser au sort des volontaires étrangers et des soldats des
troupes coloniales et aux exécutions sommaires.
Roger
Martin du Gard « Été 1914 », par Yves Tréguer
Au
titre de l’« exécution extrajudiciaire » la dernière page de «
L’été 1914 » de Roger Martin du Gard (qui valut, en1937, le prix
Nobel de
littérature
à son auteur) est aussi éclairant que la nouvelle de Louis
Guilloux.
Le
contexte : Jacques
Thibault, jeune idéaliste révolté, lutte contre la guerre. Le 10
août, il survole le front en avion et jette des tracts pacifistes
.L’avion, accidenté prend feu. Jacques, tombé dans les lignes
françaises, grièvement brûlé et véhiculé sur un civière,
retarde la retraite des troupes. Un gendarme est exaspéré par ce
prisonnier embarrassant.
-
« Nom de Dieu de nom de Dieu ! » glapit le gendarme.
Maintenant,
il est seul : seul avec ce demi-cadavre, versé sur le flanc, les
yeux clos... Tout autour, un silence solennel, anormal… Sont pas
loin… Fous-y son compte… L’oeil peureux, il glisse la main dans
son étui à revolver. Ses cils battent.la peur d’être pris lutte
avec la peur de tuer. Il n’a jamais tué, pas même une bête…
Sans doute, à ce moment là, si les yeux du blessé s’étaient une
fois entr’ouverts, s’il avait fallu que Marjoulat affronte un
regard vivant... Mais ce profil blême d’où la vie semble s’être
retirée, cette tempe qui s’offre, à plat… Marjoulat ne regarde
pas. Il crispe les paupières, les mâchoires, et allonge le bras. Le
canon touche quelque chose. Les cheveux ?
L’oreille
? Pour se donner du couragepour se justifier aussi-les dents serrées,
il crie :
-
« Fumier ! »
Cri
et coup sont partis en même temps. Libre ! Le gendarme se redresse,
et, sans se retourner, bondit dans le taillis. Les branches lui
fouettent la figure ; le bois mort craque sous ses bottes. A travers
le fourré, le sillage de la retraite a tracé un chemin, les
camarades sont proches…
Sauvé
! Il court. Il fuit le danger, sa solitude, son meurtre… Il retient
son souffle pour galoper plus vite ; et, à chaque bond, pour exhaler
sa rancune et sa peur, il répète, sans desserrer les dents :
-
« Fumier !...Fumier !...Fumier !... »
A
VOS AGENDAS !
Lundi
31 mars : conférence de Philippe Olivera sur la guerre14-18».
L’heure
et le lieu seront communiqués ultérieurement
Plus
jamais seul, par
Doriane Spiteri
COMMUNIQUE … Rennes
le 30 janvier 2014
«
A chaque palier, sur une affiche collée au mur, face à la cage de
l'ascenseur, l'énorme visage vous fixait du regard. C'était un de
ces portraits arrangés de telle sorte que les yeux semblent suivre
celui qui passe. Une légende sous le portrait disait : BIG BROTHER
VOUS REGARDE. […] On devait vivre, on vivait, car l'habitude
devient instinct, en admettant que tout son émis était entendu et
que, sauf dans l'obscurité, tout mouvement était perçu. »
George
Orwell, 1984 (1949), Paris, Gallimard, « Folio »,
1972.
Le
12 février 2014, la ville de Rennes inaugurera trois caméras place
de la République. Une nouvelle étape aura lieu au prochain conseil
municipal avec le vote pour des caméras au centre commercial Italie
au Blosne. Actuellement 28 caméras sont installées dans la ville,
sans compter les installations privées et particulièrement celles
du STAR, comptant plus de 1600 caméras dans les bus, métros et
stations.Peu avant l'installation des caméras de vidéosurveillance
place de la République, Hubert Chardonnet, adjoint à la sécurité
de la ville de Rennes avoue : « Depuis l'installation des caméras
place Saint- Anne, on sait qu'une grande partie du trafic s'est
déporté sur République. »
L'arrivée
des caméras aurait donc déplacé les problèmes, ce qui prouve une
nouvelle fois leur inefficacité. Il convient alors de s'interroger
sur la mise en place des caméras à République qui pourrait
déplacer le trafic vers la gare.
Selon
un sondage réalisé en 200812,
71% des Français seraient favorables à la vidéo-surveillance. Ces
« auto-surveillés volontaires » considèrent qu'ils n'ont rien à
craindre dès lors qu'ils n'ont rien à se reprocher. Persuadés de
l'efficacité et de la neutralité du procédé, ils réfutent ses
potentialités liberticides.
La
formule « pour raisons de sécurité » fonctionne comme un argument
d'autorité
permettant
d'imposer des perspectives et des mesures inacceptables. Ce concept
est inscrit dans le paradigme de l'état d'exception. Les procédures
d'exception visent une menace immédiate et réelle qu'il faut
éliminer en suspendant pour un temps limité les garanties de la
loi. Selon Giorgio Agamben13 dans son
article intitulé Comment
l'obsession sécuritaire fait muter la démocratie,
aujourd'hui les « raisons de sécurité » constituent au
contraire
une technique de gouvernance normale et permanente. Ainsi, si
l'exemple
anglais
devient un modèle, avec des habitants filmés parfois 300 fois par
jour, le droit à la vie privée serait nécessairement restreint par
cette traçabilité permanente.
Initiée
pour lutter contre la délinquance, la vidéosurveillance a été
rebaptisée « vidéoprotection » par la LOPPSI 2. A ces
objectifs initiaux, cette loi avait ajouté la prévention
des atteintes à la sécurité dans les lieux particulièrement
exposés à des risques de trafic de stupéfiants et des fraudes
douanières, la prévention des risques naturels et technologiques,
le secours aux personnes et la défense contre l'incendie.
Si
en 2010, la Grande Bretagne a décidé d'enterrer la société de
surveillance et qu'à Nice, l'une des villes les plus vidéo
surveillées en France, l'inefficacité des caméras a été démontré
en 2011, le gouvernement français ne cesse d'en vanter les mérites.
Pourtant,
en 2011, le rapport de la cour des comptes14 déplore
le fait qu'« aucune étude d'impact, réalisée selon une méthode
scientifiquement reconnue, n'a encore été publié ».
«
Au cours de la période considérée, le taux d’élucidation des
faits de délinquance de proximité n’a pas davantage progressé
dans ces CSP (Circonscriptions de Sécurité Publique) équipées de
caméras de vidéosurveillance de la voie publique que dans celles
qui ne le sont pas. Pour les faits de délinquance pris globalement,
il s’est même davantage amélioré dans les CSP non vidéo
surveillées. »
Alors
que certaines installations auraient bénéficié de subventions
importantes (Fonds interministériel de prévention de la
délinquance, département, État), le système ne prouve pas son
intérêt sur le terrain et les coûts sont démesurés.
Selon
ce même rapport, une caméra coûte en moyenne pondérée 36600€ à
l’installation et 7400€ à l'année, incluant maintenance
technique, entretien, rémunération du personnel.
Souvent
en panne et rarement surveillées en temps réel, les caméras de
vidéosurveillance sont inutiles pour intervenir en flagrant délit.
Elles peuvent toutefois capter tout événement se déroulant sur
l'espace public.
Depuis
2006, la consultation policière à des fins de sécurité publique
est possible. Les policiers et les gendarmes sont alors destinataires
d'images collectées par de multiples caméras. Sous prétexte
d'assurer leur mission de sécurité publique, il leur est alors
techniquement possible de surveiller, de contrôler et d'accumuler
des informations sur des
militants
syndicaux et politiques, voire des personnes périodiquement
présentes dans des manifestations. Le CNIL (Commission Nationale
Informatique et Liberté) demande notamment une traçabilité des
accès à ces données sensibles et personnelles, comportant
déplacements,
rencontres, participation aux manifestations et toutes habitudes de
vie.
Depuis
l'édition de ce rapport, la situation n'a pas changé et les caméras
continuent d'être installées massivement dans des villes
qui se refusent à effectuer des évaluations sérieuses sur le
sujet.
L'installation
de tels dispositifs est pourtant contraire à la Déclaration des
droits de l'homme et du citoyen. Selon cette dernière, le droit à
la sécurité supplante le droit à la sûreté, celui-ci visant à
protéger les citoyens contre l'arbitraire étatique et constituant
le fondement du régime démocratique. En État de droit, la
recherche d'efficacité répressive ne peut alors s'affirmer au
détriment de la protection des droits fondamentaux.
La
Ligue des droits de l'Homme, section de Rennes dit
NON
A LA VIDEOSURVEILLANCE
12 Enquête
IPSOS, les français et la vidéosurveillance, CNIL, mars 2008.
13 Giorgio
Agamben, « Comment l'obsession sécuritaire fait muter la démocratie
», Le
monde diplomatique,
janvier 2014.
14 Organisation
et gestion des forces de sécurité, p. 125 à 145.
A
propos de la vidéosurveillance :
· Noé
Le Blanc, « La vidéosurveillance se cherche un alibi », Le
Monde diplomatique,
23
février
2011.
· Virginie
Gautron, « Vidéosurveillance ou vidéoprotection : nos libertés
sous contrôle ? », Place
Publique Rennes,
2011.
· Jean-Marc
Manach, « Vidéosurveillance : ce que révèle la cour des comptes
», OWNI,
14 juillet 2011.
· Jean-Marc
Manach, « La Grande Bretagne enterre la société de surveillance
», Bugbrother,
25 mai 2010.
· Jean-Marc
Manach, « Un rapport prouve l'inefficacité de la vidéosurveillance
», Bugbrother,
13 novembre 2009.
· Sous
surveillance, éditée
par la Ligue des droits de l'Homme,
EDRI, AEDH, Pangea et luRe, 2010.
6
février : tirer les leçons de l’histoire
COMMUNIQUE
LDH Paris, le 3 février 2014
Il
y a quatre-vingt ans, le 6 février 1934, plusieurs organisations
d’extrême droite et ligues factieuses appelaient à se rassembler
devant l’Assemblée nationale avec l’objectif non dissimulé de
faire tomber un gouvernement discrédité par une série de scandales
et, au-delà, d’en finir avec la République.
Les
factieux visaient à imposer les valeurs salvatrices d’un ordre
éternel et chrétien, d’une xénophobie solidement antisémite et,
par la violence, à renverser une République stigmatisée comme la
chose des « rastaquouères » et des juifs, des francs-maçons et
des « bolchéviks ». Cette manifestation pesa lourdement sur la vie
politique française et constitua un signal d’alarme pour tous les
démocrates.
Le
rassemblement du Front populaire, organisé dans la foulée autour de
défense de la paix, du pain et de la liberté sut mettre
un coup d’arrêt à ces prétentions
autoritaires.
Quatre-vingt
années et une guerre mondiale plus tard, un rassemblement de
réseaux, dont le point commun est la haine de l’égalité
républicaine, agite le spectre d’un nouveau 6 février. L’objectif
est moins d’affirmer des désaccords politiques avec le
gouvernement en place que d’organiser la mise à bas morale du
principe d’égalité républicaine.
D’où
la multiplication des rumeurs, mensonges, slogans haineux,
manifestations de rues et appels à la violence visant l’enseignement
de l’égalité entre les sexes à l’école, l’égalité de
toutes et tous devant le mariage, l’égalité entre citoyens ; d’où
également cette conjonction des intégrismes mêlant antisémitisme
et homophobie, dénonciation du « système » et de l’école
républicaine. Cette offensive décomplexée d’uneextrême droite
radicalisée, s’avère articulée avec les ambitions électorales
du Front national, ainsi qu’avec certains courants de l’église
catholique et une fraction non négligeable de la « droite
républicaine ».
La
Ligue des droits de l’Homme appelle à combattre fermement cette
stratégie de la peur et cette exaltation de l’ordre moral. Cela
exclut toute concession à l’esprit ambiant de xénophobie, et tout
esprit de conciliation vis-à-vis des tentations d’exclusion et de
restriction des droits. C’est en rassemblant sur des valeurs
d’égalité et de fraternité, de respect et de progrès social,
que les forces républicaines peuvent relever le défi qui leur est
lancé.
C’est
en adoptant des politiques de solidarité, en refusant de s’enfermer
dans des mesures d’austérité désespérantes et stériles, que la
perte de confiance de l’opinion publique dans la politique
gouvernementale peut être enrayée, que les bases d’un
rassemblement populaire et démocratique peuvent être jetées.
C’est
l’un des enjeux des élections municipales à venir. A cet égard,
la participation au scrutin constitue un élément d’importance
pour ne pas placer la République et la démocratie en état de
faiblesse. Sans entrer dans le détail des programmes et listes
soumis aux électrices et électeurs, la LDH rappelle que c’est en
combinant la défense des
libertés
et du progrès social que « l'esprit de 36 » a su rassembler et
faire échec aux vents mauvais.
C’est
cet esprit que la LDH entend faire vivre dans les débats électoraux
à venir en défendant des mesures concrètes pour l’égalité, la
fraternité et la solidarité, en rassemblant contre le racisme et
l’antisémitisme, contre l’homophobie et toutes les
discriminations.
La
LDH appelle les citoyennes et citoyens, les démocrates et les
républicains, la
société
civile et la représentation politique à en débattre ensemble,
avant, durant et après la phase électorale qui s’annonce. Face
aux menaces et aux discours de haine, elle appelle à se rassembler
et à réinventer la promesse d’une République fraternelle et
sociale porteuse d’un avenir meilleur pour tous les citoyens.
ACTUALITE
«
Jour de colère », nuit pour tous
Analyse
par Jean Birnbaum Le Monde des Livres, 1e février 2014
La
colère fut le premier mot de l'Europe.
Depuis
la colère d'Achille, au premier vers de l'Iliade, jusqu'au« juste
courroux» du peuple
moderne, en passant par la fureur du Dieu biblique, ce sentiment
électrise toute la tradition occidentale. La nuée de mouvements qui
ont lancé le «Jour de colère», dimanche 26 janvier, s'inscrit
donc dans une longue lignée. Le succès de l'initiative en est un
indice :
17
000 personnes, sous une pluie glaciale, avec la colère pour seul mot
d'ordre, ce n'est
pas
rien.
Reste
que la colère ne fait pas une politique. La colère, c'est
l'indignation avec un signe moins, c'est la révolte moins
l'espérance. Ces manifestations hétéroclites l'illustrent: sans
autre horizon que le refus de tout-en vrac, Hollande, l'avortement,
le chômage, le mariage
homosexuel,
les homosexuels eux-mêmes, l'école républicaine, les médias, les
impôts, les francs-maçons, les juifs, Satan ... -, l'exaspération
débouche sur un pur soulèvement de dégoût. Georges Bernanos a
tracé sur ce point des lignes décisives. Ecrivain royaliste et
catholique intransigeant, il n'en reconnaissait pas moins la
portéede1789: si la Révolution française a une valeur universelle,
disait-il, c'est parce qu'« elle
n'a pas été une
explosion
de colère, mais celle d'une immense espérance accumulée ».
Tout
autre est la colère noire qui s'exprime aujourd'hui. Fille du
désespoir, elle n'ouvre aucun avenir de liberté et ne prétend même
pas ressusciter le bon vieux temps.
Ni
révolutionnaire ni réactionnaire, elle relève de cette dynamique
venimeuse que le philosophe allemand Peter Sloterdijk a analysée
dans Colère et
temps. (Libella
Maren
Sell, 2007). Dans le passé, affirme t- il, la colère a eu ses
débouchés spirituels ou politiques, à commencer par l'Eglise
catholique et l'Internationale communiste.
Désormais,
elle tourne à vide: «Nous
sommes entrés dans une ère dépourvue de points de collecte de la
colère », note
Sloterdijk.
Ainsi,
la colère ne trouve plus aucun exutoire universaliste, elle se
déploie en une myriade de rages localisées et dispersées, qui ne
produisent qu'un ressentiment généralisé, sans raison ni
conscience. Voilà un autre point: tout comme elle ne promet rien, la
colère ne veut rien savoir. De Pierre Kropotkine à Albert Camus,
l'esprit de révolte allait jadis de pair avec la quête de vérité.
La fureur nihiliste qui descend maintenant dans la rue est aux
antipodes de cela. «Il
s'agit d'un extrémisme de la lassitude une hébétude radicale qui
se refuse à toute mise en forme ou en culture », ajoute
Sloterdijk.
On
comprend pourquoi ces « jours
de colère » versent
si facilement dans un complotisme halluciné. Voyez cette photo d'une
manifestante qui brandit fièrement, au milieu de ses amis, une
pancarte contre l'Europe « Pédo/Criminelle/
Sioniste/Satanique » (photo
prise par notre consoeur du Huffington Post, Lauren Provost).
Regardez aussi ces vidéos où
une
ancienne figure du mouvement « beur », désormais ralliée aux
nouveaux nazis et militante de la Journée de retrait de l'école,
affirme que l'éducation nationale enseigne surtout l'homosexualité,
ou encore que le rap a été introduit par les étudiants juifs dans
les banlieues pour miner leur rébellion ... Ecoutez enfin la formule
de Dieudonné, qui résume bien les choses: « la
vérité, c'est pour les cons. »
La
haine de l'esprit
Certes,
tous les activistes de la colère ne poussent pas le délire
jusque-là. Mais tous semblent habités par une méfiance instinctive
à l'égard de la vérité telle qu'elle s'établit et telle qu'elle
se transmet. Dans une formule célèbre, Bernanos disait que « la
colère des imbéciles remplit le monde ». Sous sa
plume, les imbéciles ne sont pas des ignares ou des idiots, ce sont
des êtres ivres de rancoeur, rongés par la haine de l'esprit. «
La colère des imbéciles m'a toujours rempli de tristesse, mais
aujourd'hui elle m'épouvanterait plutôt, notait-il
en 1938. Le monde entier
retentit de cette colère. Que voulez-vous?
Ils
ne demandaient pas mieux que de ne rien comprendre, et même ils se
mettaient
à
plusieurs pour ça ... »
Pour
le moment, ce compagnonnage avec un sombre nihilisme condamne les
collectifs colériques à l'impuissance politique. Mais c'est aussi
lui qui les rend si difficiles à combattre pour les partis
traditionnels, de droite comme de gauche.
Ainsi
que l'affirme le sociologue Fabien Jobard dans un article paru sur
Mediapart, cette foule colérique communie dans un «
relativisme hyperbolique » qui jette le doute sur le
réel tout entier, jusqu'à nier les faits les mieux attestés. Il y
a ici un cauchemar pour quiconque demeure attaché à une éthique de
la rationalité, qu'elle soit religieuse ou politique. Face au
négationnisme sous toutes ses formes, le cardinal André Vingt-Trois
comme Jean- Luc Mélenchon se trouvent désarmés.
Toute
discussion argumentée devient impossible. «
Imagine-t-on un astrophysicien qui dialoguerait avec un "chercheur"
qui affirmerait que la Lune est faite en fromage de Roquefort ?
», demandait l'historien Pierre Vidal-Naquet
dans Les Assassins de la
mémoire (La Découverte, 1987). Par-delà les
slogans politiques, la galaxie de la «colère»
représente
donc un défi lancé aux pratiques d'enseignement et aux institutions
démocratiques. Si ce défi n'était pas relevé, alors le «
jour de colère » pourrait
bien devenir la nuit pour tous.
NOTRE
BOUTIQUE
LDH
SECTION DE RENNES
Post-it LDH 0.50€
Agenda de la solidarité 2014 10€
Affiche DUDH 1948 nuit blanche 2€
Affiche Déclaration Universelle
des droits de l'Homme 1948 2.50€
24€
Ainsi que les ouvrages suivants :
- L’honneur d’une ville, André Hélard 16€
- Le second procès Dreyfus, Victor Basch 18€
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