Plus jamais seul
« A
chaque palier, sur une affiche collée au mur, face à la cage de
l'ascenseur, l'énorme visage vous fixait du regard. C'était un de
ces portraits arrangés de telles sorte que les yeux semblent suivre
celui qui passe. Une légende sous le portrait disait : BIG
BROTHER VOUS REGARDE. […] On devait vivre, on vivait, car
l'habitude devient instinct, en admettant que tout son émis était
entendu et que, sauf dans l'obscurité, tout mouvement était
perçu. »
George
Orwell, 1984
(1949),
Paris, Gallimard, « Folio », 1972.
Le
12 février 2014, la ville de Rennes inaugurera trois caméras place
de la République. Une nouvelle étape aura lieu au prochain conseil
municipal avec le vote pour des caméras au centre commercial Italie
au Blosne. Actuellement 28 caméras sont installées dans la ville,
sans compter les installations privées et particulièrement celles
du STAR, comptant plus de 1600 caméras dans les bus, métros et
stations. Peu avant l'installation des caméras de vidéosurveillance
place de la République, Hubert Chardonnet, adjoint à la sécurité
de la ville de Rennes avoue : « Depuis l'installation des
caméras place Saint-Anne, on sait qu'une grande partie du trafic
s'est déporté sur République. » L'arrivée des caméras
aurait donc déplacé les problèmes, ce qui prouve une nouvelle fois
leur inefficacité. Il convient alors de s'interroger sur la mise en
place des caméras à République qui pourrait déplacer le trafic
vers la gare.
Selon
un sondage réalisé en 20081,
71% des Français seraient favorables à la vidéo-surveillance. Ces
« auto-surveillés volontaires » considèrent qu'ils
n'ont rien à craindre dès lors qu'ils n'ont rien à se reprocher.
Persuadés de l'efficacité et de la neutralité du procédé, ils
réfutent ses potentialités liberticides.
La
formule « pour raisons de sécurité » fonctionne comme
un argument d'autorité permettant d'imposer des perspectives et des
mesures inacceptables. Ce concept est inscrit dans le paradigme de
l'état d'exception. Les procédures d'exception visent une menace
immédiate et réelle qu'il faut éliminer en suspendant pour un
temps limité les garanties de la loi. Selon Giorgio Agamben2
dans son article intitulé Comment
l'obsession sécuritaire fait muter la démocratie,
aujourd'hui les « raisons de sécurité » constituent au
contraire une technique de gouvernance normale et permanente. Ainsi,
si l'exemple anglais devient un modèle, avec des habitants filmés
parfois 300 fois par jour, le droit à la vie privée serait
nécessairement restreint par cette traçabilité permanente.
Initiée
pour lutter contre la délinquance, la vidéosurveillance a été
rebaptisée « vidéoprotection » par la LOPPSI 2. A ces
objectifs initiaux, cette loi avait ajouté la prévention des
atteintes à la sécurité dans les lieux particulièrement exposés
à des risques de trafic de stupéfiants et des fraudes douanières,
la prévention des risques naturels et technologiques, le secours aux
personnes et la défense contre l'incendie.
Si
en 2010, la Grande Bretagne a décidé d'enterrer la société de
surveillance et qu'à Nice, l'une des villes les plus
vidéosurveillées en France, l'inefficacité des caméras a été
démontré en 2011, le gouvernement français ne cesse d'en vanter
les mérites.
Pourtant,
en 2011, le rapport de la cour des comptes3
déplore le fait qu'« aucune étude d'impact, réalisée selon
une méthode scientifiquement reconnue, n'a encore été publié ».
« Au
cours de la période considérée, le taux d’élucidation des faits
de délinquance de proximité n’a pas davantage progressé dans ces
CSP (Circonscriptions de Sécurité Publique) équipées de caméras
de vidéosurveillance de la voie publique que dans celles qui ne le
sont pas. Pour les faits de délinquance pris globalement, il s’est
même davantage amélioré dans les CSP non vidéosurveillées. »
Alors
que certaines installations auraient bénéficié de subventions
importantes (Fonds interministériel de prévention de la
délinquance, département, État), le système ne prouve pas son
intérêt sur le terrain et les coûts sont démesurés.
Selon
ce même rapport, une caméra coûte en moyenne pondérée 36600€ à
l’installation et 7400€ à l'année, incluant maintenance
technique, entretien, rémunération du personnel.
Souvent
en panne et rarement surveillées en temps réel, les caméras de
vidéosurveillance sont inutiles pour intervenir en flagrant délit.
Elles peuvent toutefois capter tout événement se déroulant sur
l'espace public.
Depuis
2006, la consultation policière à des fins de sécurité publique
est possible. Les policiers et les gendarmes sont alors destinataires
d'images collectées par de multiples caméras. Sous prétexte
d'assurer leur mission de sécurité publique, il leur est alors
techniquement possible de surveiller, de contrôler et d'accumuler
des informations sur des militants syndicaux et politiques, voire des
personnes périodiquement présentes dans des manifestations. Le CNIL
(Commission Nationale Informatique et Liberté) demande notamment une
traçabilité des accès à ces données sensibles et personnelles,
comportant déplacements, rencontres, participation aux
manifestations et toutes habitudes de vie.
Depuis
l'édition de ce rapport, la situation n'a pas changé et les caméras
continuent d'être installées massivement dans des villes qui se
refusent à effectuer des évaluations sérieuses sur le sujet.
L'installation
de tels dispositifs est pourtant contraire à la Déclaration des
droits de l'homme et du citoyen. Selon cette dernière, le droit à
la sécurité supplante le droit à la sûreté, celui-ci visant à
protéger les citoyens contre l'arbitraire étatique et constituant
le fondement du régime démocratique.
En
État de droit, la recherche d'efficacité répressive ne peut alors
s'affirmer au détriment de la protection des droits fondamentaux.
La Ligue des droits de
l'Homme, section de Rennes dit
NON A LA
VIDEOSURVEILLANCE
Doriane
Spiteri
1 Enquête IPSOS, les français et la vidéo-surveillance, CNIL, mars 2008.
2 Giorgio Agamben, « Comment l'obsession sécuritaire fait muter la démocratie », Le monde diplomatique, janvier 2014. http://www.monde-diplomatique.fr/2014/01/AGAMBEN/49997
3 Organisation et gestion des forces de sécurité, p. 125 à 145.
Puisque
tout citoyen peut, par simple lettre à la direction de la police
municipale, demander à voir les images où il figure, voici un clip
d'un groupe anglais réalisé par le seul moyen des caméras de
vidéosurveillance :
LIENS
Noé Le
Blanc, « La vidéosurveillance
se cherche un alibi », Le Monde diplomatique, 23
février 2011.
Virginie
Gautron, « Vidéosurveillance ou vidéoprotection : nos
libertés sous contrôle ? », Place Publique Rennes,
2011.
Jean-Marc
Manach, « Vidéosurveillance : ce que révèle la cour des
comptes », OWNI, 14 juillet 2011.
Jean-Marc
Manach, « La Grande Bretagne
enterre la société de surveillance », Bugbrother,
25 mai 2010.
http://bugbrother.blog.lemonde.fr/2010/05/25/la-grande-bretagne-enterre-la-societe-de-surveillance/
Jean-Marc
Manach, « Un rapport prouve l'inefficacité de la
vidéosurveillance », Bugbrother, 13 novembre 2009.
http://bugbrother.blog.lemonde.fr/2010/05/25/la-grande-bretagne-enterre-la-societe-de-surveillance/