Lettre
ouverte à M. le Président de la République Française à
l’occasion de sa visite officielle en Algérie
Paris,
le 17 décembre 2012
Monsieur
le Président de la République,
Vous
vous apprêtez à effectuer une visite officielle en Algérie –
visite qui a pour ambition de « rétablir une relation
politique de confiance à la hauteur des ambitions de nos deux
peuples et tournée vers l'avenir ». A cette occasion,
nous, organisations signataires, souhaitons attirer votre attention
sur les questions relatives aux droits de l’Homme, y compris les
droits économiques, sociaux et culturels, et aux libertés
fondamentales dans le cadre des relations entre la France et
l’Algérie.
Nous
tenons, tout d'abord, à saluer votre décision de reconnaître le
massacre, le 17 octobre 1961, de manifestants algériens, en
plein cœur de Paris. Cette décision, nous l’espérons, sera
suivie d’une dénonciation du système colonial et des crimes qu’il
a engendrés alors, afin de permettre notamment un travail de mémoire
conjoint et apaisé sur l’Histoire commune, une plus grande
capacité des nouvelles générations d’origine algérienne à
assumer leur citoyenneté française ainsi que l’établissement de
relations normalisées entre la France et l’Algérie. Nous sommes
également convaincus que le droit de vote aux élections locales
accordé aux étrangers établis en France, ce qui concerne donc les
Algériens y vivant, devrait contribuer positivement à cette
évolution.
Monsieur
le Président, parmi les « 60 engagements » de votre
projet présidentiel, vous vous promettez de « [développer]
la relation de la France avec les pays de la rive sud de la
Méditerranée sur la base d’un projet économique, démocratique
et culturel […] en proposant une relation fondée sur l’égalité,
la confiance et la solidarité ». Cette visite officielle
en est une première étape. Nos organisations croient que cette
« relation de confiance » que vous souhaitez
développer pendant votre présidence avec les autorités algériennes
doit se faire au bénéfice de certains progrès en matière de
droits de l’Homme et des libertés démocratiques, ainsi que de
tous les acteurs de la société civile indépendante en Algérie.
Or,
depuis l’annonce des réformes politiques en avril 2011, la
répression à l’encontre des défenseurs des droits de l’homme
et des militants syndicaux n’a fait que s’amplifier en Algérie.
En contradiction avec la Constitution du pays et les conventions
internationales que l’Algérie a ratifiées, le harcèlement
judiciaire à l’égard de défenseurs des droits de l’homme et de
militants syndicaux, la répression policière, l’interdiction
injustifiée de manifestations et réunions publiques, le recours à
des pratiques administratives abusives entravant la création et le
fonctionnement des associations et des syndicats autonomes élèvent
des obstacles considérables à l’action de la société civile
algérienne. Plusieurs lois promulguées en janvier 2012 et
présentées comme des ‘réformes démocratiques’ sont en réalité
une régression des libertés publiques, en particulier la loi n°
12-06 qui rend plus difficile la création, le financement et le
fonctionnement quotidien des associations et la loi n° 12-05
sur l’information qui entrave l’indépendance des journalistes et
la liberté d’opinion et de publication. Par ailleurs, plusieurs
demandes de création de nouveaux syndicats autonomes dans différents
secteurs se heurtent à un refus d’enregistrement non motivé. De
plus, l'impunité des auteurs de disparitions forcées et d'autres
violations graves et massives des droits de l'Homme commises durant
les années 90 reste toujours de mise, malgré les nombreuses
condamnations formulées par différents organes du Haut-Commissariat
aux droits de l’homme des Nations unies.
À
l’occasion de votre visite, nos organisations vous demandent
d’inclure en priorité, dans
toute négociation avec les autorités algériennes, la question du
respect et de l’application réelle des conventions internationales
relatives aux droits de l’Homme ainsi que des conventions de
l’Organisation internationale du travail (OIT), ratifiées par
l’Algérie. A cet égard, nous tenons également à vous faire part
des obstacles à la délivrance de visas que nos organisations comme
d’autres organisations internationales des droits de l’Homme ou
syndicats étrangers rencontrent et qui ont pour effet d’entraver
le travail sur le terrain avec les organisations algériennes.
Nous
croyons, par ailleurs, que la France serait mieux entendue si elle
cessait de pratiquer une politique entravant la liberté de
circulation des algériens à l’intérieur de ses frontières,
comme dans les autres pays européens. Ces entraves qui touchent tous
les secteurs de la population sont ressenties comme autant de
manifestations de mépris.
Enfin,
nos organisations vous invitent, Monsieur le Président, à saisir
l’occasion de votre visite pour rencontrer la société civile afin
d’entendre l’intense aspiration démocratique des Algériennes et
des Algériens. Nous espérons que celle-ci sera en outre l’occasion
de mettre en place des mécanismes qui permettent de consulter et
d’associer la société civile indépendante des deux pays au
renouveau de la coopération entre la France et l’Algérie.
Confiants
de l'attention que vous voudrez bien porter à notre requête, nous
vous prions d'agréer, Monsieur le Président, l'expression de notre
haute considération.
Signataires :
M.
Pierre Tartakowsky, président de la Ligue des Droits de l’Homme
(LDH)
Mme
Souhayr Belhassen, présidente de la Fédération internationale des
ligues des droits de l'Homme (FIDH)
M.
Michel Tubiana, président du Réseau Euro-Méditerranéen des Droits
de l’Homme (REMDH)
M.
Halim Derbal pour le Bureau de l’association Agir pour le
Changement Démocratique en Algérie (ACDA)
Mme
Nassera Dutour, porte-parole du Collectif des familles des
disparu(e)s en Algérie (CFDA)
M.
François Della Sudda, président du Comité International de Soutien
au Syndicalisme Autonome Algérien (CISA)
Me
Noureddine Benissad, président de la Ligue Algérienne pour la
Défense des Droits de l’Homme (LADDH)
M.
Rachid Malaoui, président du Syndicat National Autonome du Personnel
de l’Administration Publique (SNAPAP)
Me
Amine Sidhoum, coordinateur du Réseau des Avocats pour la Défense
des Droits de l’Homme (RADDH)