Bruxelles, le 19 septembre 2014
Cette
semaine encore les informations glacent d'effroi. Il y a un an, l'AEDH
interpellait l’Union européenne et ses Etats membres, leur demandant de
reconnaître leur responsabilité dans les drames successifs et
quotidiens qui engloutissent des centaines d'hommes, de femmes et
d'enfants. En l’espace de quelques jours en cette fin d’été, 500
personnes ont disparu au large de Malte et de l’Italie, 200 autres au
large de la Libye; depuis le mois de juin, ce sinistre dénombrement
s’élèverait à 2 200, selon le HCR. Jusqu'à quand continuera-t-on à
fermer les yeux, à détourner la tête ?
L’AEDH
considère que les passeurs mis en cause dans le récent drame au large
de l’Italie sont des criminels qui doivent être poursuivis et condamnés
Mais nous savons aussi qu’ils ne sont pas les seuls responsables de ces
véritables massacres de masse. Car leurs trafics n'existent qu'en
réponse à une politique sécuritaire européenne qui fait le lit des
profiteurs de misère. Car s'il est paradoxe révélateur c'est bien celui
qui fait dire à ceux qui condamnent ces trafics qu'il faut encore plus
de sécurité, encore plus de contrôle des procédures et des visas, alors
qu'à chaque nouvel obstacle dressé sur la route de l’exil, les tarifs
montent avec l’accroissement des dangers puisque les migrants n’ont pas
d’autre solution. Pour nombre d’entre eux, les risques d’une traversée
maritime sont la seule alternative à une vie de violences, trop souvent à
la mort, dans des pays de conflits
Une
fois de plus, quand le doigt montre la lune, l'imbécile regarde le
doigt. A l’abri de leurs frontières étroitement surveillées par Frontex,
derrière le mur érigé à la frontière gréco-turque, protégés par les
grillages de Ceuta et Melilla, au nord de la « Frontera sur », chacun
s’apitoie sur le sort de ces centaines, de ces milliers d’exilés qui ont
trouvé la mort au large de Lampedusa, de la Libye ou des côtes
marocaines. Comme il y a un an !
Une
fois de plus, on appellera les États membres à faire preuve de
solidarité avec les pays qui sont sur la route des migrants, l'Espagne,
l’Italie, mais aussi Malte ou la Grèce. Comme si ces drames étaient
territorialisés. La compassion et la solidarité s’exprimeront, comme
toujours, devant les caméras « humanitaires ». Mais plus tard, loin des
yeux des émus d'un jour, le rejet des demandeurs d’asile, la répression,
la rétention, la négligence dans les secours, les reconduits musclées
aux frontières reprendront leurs droits. Les images – non médiatisées
celles-là – sont là pour le prouver.
La
question centrale n'est donc plus de définir une politique européenne
de l'asile et de l'immigration. Officiellement, elle existe. Mais pour
les défenseurs des droits que nous sommes, elle est inacceptable car
elle abandonne à chaque État des marges d’interprétation et de mise en
œuvre législative toujours plus restrictives et punitives. Lors d’une
conférence tenue la semaine dernière au Parlement européen sur la
recherche d'une solution alternative sur la « Frontera sur », les
organisations espagnoles – dont notre association membre, l'APDHA
d'Andalousie – ont montré la brutalité de la politique du gouvernement
espagnol et des interventions policières. Mais ils ont aussi démontré
que c'est la volonté commune de transformation de l'Europe en une
forteresse impénétrable qui engendre la mer cruelle, les murs et les morts.
Il
est inacceptable que, d'année en année, dans la terreur fantasmée de
voir leurs côtes envahies par des « hordes » d’exilés, les dirigeants
européens ne savent qu’aller toujours plus en avant pour renforcer les
moyens de sécuriser le pourtour géographique de l’eldorado que forment
les 28 États membres : patrouilles maritimes ou aériennes, drones pour
surveiller les eaux internationales, Frontex,…
Il
est inacceptable que, pour éviter de se sentir coupable lorsque des
êtres humains viennent s’échouer ou mourir sur nos côtes et nos terres,
l’UE n’ait de cesse d’imposer aux pays tiers, notamment ceux du Sud et
de l’Est de la Méditerranée, « des partenariats pour la mobilité » et
des accords de réadmission. Garde-côtes et garde-frontières de l’Europe :
un métier en expansion au Nord comme au Sud ou à l’Est.
Il
faut des principes. L'AEDH demande aux États membres de retrouver enfin
le sens des mots solidarité et humanité, pour redonner à l’UE un rôle
majeur dans la promotion des libertés, pour le respect des droits, pour
l’accueil des réfugiés.
Il faut des moyens. L'AEDH demande que l’UE, au lieu de jeter l'argent dans la mer
pour se protéger, se lance dans l’assistance des migrants afin que
ceux-ci retrouvent leur dignité et leurs droits à nos frontières qu’ils
pourront rejoindre en toute sécurité.
Il
faut de l'engagement. L'AEDH appelle solennellement les citoyens
européens, leurs organisations et leurs élus, en particulier les
parlementaires européens, à unir leurs efforts afin d’obliger les Etats
de l’Union et les institutions européennes à changer radicalement de
politique et à ne pas succomber aux appels à la xénophobie et à
l’enfermement sur soi.