Le 11 janvier a réuni à Paris des citoyens pour qui « la
liberté ne se négocie pas » aux côtés de chefs d'Etat
réunis dans une « union sacrée contre le terrorisme »: Michel
Tubiana, président d'honneur de la Ligue des droits de
l'homme, rappelle à ces derniers que « combattre ce mal
n’est pas incompatible, d’une part, avec les règles de
l’Etat de droit, et, d’autre part, avec un traitement de
fond des causes d’un phénomène qui n’a rien de spontané ».
L’extraordinaire
marée humaine qui a envahi les rues de Paris est un de ces
moments qui s’ancrera dans notre inconscient collectif comme
un de ces instants précieux d’unité. Quoi qu’en disent ceux
qui désignent des boucs émissaires, c’est bien un sentiment de
fraternité qui a prévalu le 11 janvier 2015. Ce que le peuple
de France, ses habitants de toutes religions (ou sans…), de
toutes origines, de toutes nationalités ont exprimé, c’est
l’exigence de vivre ensemble, avec cette tolérance qui n’est
pas une démission mais une volonté de partage, dans un pays
libre qui refuse la peur. Cette première lecture a fait
effectivement, l’instant d’un dimanche, de Paris la capitale
du monde par le message délivré à tous les idolâtres de la
mort comme à tous les peuples et à leurs gouvernements : il
n’est qu’une Humanité et la liberté ne se négocie pas.
A cette lecture de cette journée, sans doute historique, s’en
ajoute une autre qui, si nous n’y prenons garde, risque
d’aboutir à l’inverse de ce que nous avons souhaité.
La prééminence donnée à la présence de plusieurs dizaines de
chefs d’Etat a conduit à enfermer les manifestants dans une
nasse. Pour symbolique que cela soit, l’espace de quelques
heures le pavé parisien a été confisqué à ses occupants
naturels. La présence de dirigeants qui n’ont rien à faire de
la liberté de la presse, pratiquent un racisme et un
antisémitisme ouvert, embastillent d’autres peuples ou, tout
simplement, se moquent totalement des principes démocratiques,
montre que ce ne sont pas les principes de la République et de
la démocratie que sont venus défendre ces dirigeants, c’est
l’union sacré des Etats contre le terrorisme. Et si la minute
de silence observée, sans doute sincère, a permis une belle
exposition médiatique, elle a dû avoir aussi un goût amer pour
certains.
Bien sûr, nul ne saurait s’opposer, encore moins les
démocraties, à ce que l’on jugule les agissements qui, sous un
nom ou un autre, n’ont aucun respect pour la vie humaine et
n’ont que la haine à la bouche.
Mais ce n’est pas faire preuve d’angélisme que de dire que se
donner les moyens de combattre ce mal n’est pas incompatible,
d’une part, avec les règles de l’Etat de droit, et, d’autre
part, avec un traitement de fond des causes d’un phénomène qui
n’a rien de spontané.
Demain, la France et l’Europe devront répondre aux questions
des moyens de lutte contre le terrorisme. Ce débat est
légitime. Il ne saurait pourtant être enfermé par les Etats
dans l’exploitation de la peur ou dans leur tendance
naturelle à déposséder les citoyens de leurs libertés au
prétexte d’assurer leur sécurité.
On voit bien le tribut que les Etats-Unis paient à leur
déclaration de guerre à « l’empire du mal ». On sait les
conséquences ravageuses du Patriot Act et autres
Guantanamo pour la dignité de ce pays, sa cohésion, pour son
image dans le monde et la sécurité de celui-ci. Sachons
apprendre de cette expérience, ne recommençons pas les mêmes
erreurs. Résistons à la facilité de croire qu’un empilement de
restrictions de nos libertés nous apportera une sécurité sans
faille aussi illusoire que ravageuse pour la démocratie. A
défaut, c’est l’espoir d’une France apaisée, celle que le
peuple a appelé de ses vœux le 11 janvier, qui reculera.