La Ligue des Droits de l'Homme, La Libre Pensée, Amnesty International, le Mouvement de la Paix et Attac ont organisé le 25 mai dernier une Conférence – Débat
Etat d’urgence prolongé – État de droit bafoué
Etat d’urgence prolongé – État de droit bafoué
avec Mme Dominique Curis (Amnesty France)
et Monsieur Alain Bressy (ancien magistrat)
Dominique CURIS présente les effets de la déclaration de
l'état d'urgence (loi du 20 novembre
2015) en termes d'assignations à résidence ou de perquisitions faites à
n'importe quel moment de la journée. Beaucoup de personnes ont été ciblées par
ces mesures en raison de leur religion musulmane. Dominique CURIS décrira les
conséquences des assignations à résidence sur la vie des personnes, celles-ci
devant se rendre au commissariat trois fois par jour. Parmi elles, il a été
remarqué que certains ont perdu leur emploi.
Enfin récemment, l'interdiction du droit de manifester a été
décidée par arrêté préfectoral alors qu'il s'agit d'un droit pour le citoyen.
Ces décisions ont été annulées par le Tribunal Administratif de Nantes
Alain Bressy déclare
qu'il doit procéder à non rappel historique sur la naissance du droit et de son
bras armé la Justice pour que le public puisse comprendre la situation
actuelle.
Les jurisconsultes de
la Révolution, après que le constat a été fait de séparer les pouvoirs
législatifs, exécutifs et judiciaires pour que la démocratie puisse vivre.
Dans cet état
d'esprit, ils ont, à l'intérieur du pouvoir judiciaire, créer un juge
indépendant, dont les décisions sont souveraines face au pouvoir (qu’on va
appeler le juge du siège) et un magistrat représentant la société, l'Etat (dont
il reçoit les ordres) le Procureur. Ils ont même été plus en osant imaginer
l'hypothèse d'un procureur « félon » dont la mission pourrait être
contournée par un nouveau juge du siège : le juge d'instruction qui hérite
des pouvoirs du procureur en matière de crimes. Si c'est le procureur qui est
le réceptacle de toutes les plaintes, le juge d'instruction peut recevoir
celles que le procureur a refusées... En 2000, suivant les préconisations de
Bruxelles, est créé un nouveau juge du siège : le juge des libertés et de
la détention qui valide ou non les détentions provisoires et tous actes du
procureur entrainant des privations de liberté ponctuelles.
L'état d'urgence confère un pouvoir discrétionnaire au Préfet
qui , avec son cabinet et l'aide de services du renseignement peut décider,
sans l'aval d'un juge du siège, d'une perquisition de nuit, saisie de tous
documents ou matériels informatiques, placement en garde à vue et assignation à
résidence avec signature au commissariat le plus proche jusqu'à trois fois par
jour.
Cet ancien magistrat s'étonne de l'état d'esprit des Français
prêts actuellement à accepter n'importe quelle mesure «
liberticide » au nom de la lutte contre le terrorisme , d'autant que
nombre d'actes préfectoraux n'ont pas concernés des terroristes mais des
personnes de droit commun ( tels certains écologistes …..)
Le seul recours est celui intenté devant le Tribunal
administratif. Contentieux gratuit certes mais qui nécessite, en cohérence,
l'assistance d'un avocat. La Juridiction Suprême de ces juridictions, le
Conseil d'Etat, a mis beaucoup de temps pour donner mainlevée partielle de
certaines assignations à résidence au motif que les charges retenues contre le
présumé coupable n'étaient pas développées par le ministère de l'intérieur. En
effet, en respect d'une sorte de secret défense, l'Etat produit une note
blanche qui sert d'acte d'accusation sans élément. Le principe fondamental des
Révolutionnaires pour la Justice était le respect du contradictoire. Ici,
l'accusation est orale, sans preuve matérielle. Le présumé coupable ne peut
donc pas répondre.
L'on doit savoir que le juge du siège, au contraire du juge
administratif agissant dans le cadre de
la loi sur l'état d'urgence, ne peut statuer qu'à partir de charges librement
discutées entre l’accusation/ le suspect et son avocat/ et le juge du siège
dont la décision est LIBRE.
Une loi d'exception pour quel résultat ? Un résultat
pratiquement nul en ce qui concerne le terrorisme et quelques délits de droit
commun collectés çà et là.
En revanche, beaucoup d'arrestations d'écologistes en vue de
protéger - putativement- la COP21 qui allait se tenir quelques jours
après !!!
Là encore, un échec
policier flagrant puisque Green Peace a pu réaliser SANS DIFFICULTES une
opération en plein cœur de Paris durant la célèbre manifestation.
En réalité, si la France avait voulu se doter d'une justice moderne et efficace, si
elle avait entamé une réflexion collective sur cette mission et sur la prison,
nous aurions déjà les bonnes réponses et
les actes criminels en bandes organisées que sont les faits de terrorisme,
seraient traités par une justice de droit commun, en respectant le droit et en
étant cependant efficace.
Mais la justice française est à l'agonie ; en manque
d'effectifs, avec des juges d'instruction non remplacés, avec des budgets qui
placent les juridictions en état de cessation de paiement etc. etc.
Ainsi, progressivement, l'Etat et son représentant local
remplacent-ils la Justice. Le mépris dans lequel les gouvernants français
tiennent la justice est si ancien, entraînant de lourdes conséquences pour le
justiciable que ce dernier se range toujours du côté de ceux qui vilipendent la
justice.
LA COMMISSION CONSULTATIVE DES DROITS HUMAINS n'a pas été
consultée malgré la prolongation de l'état d'urgence.
Est remarquée l'usage de procédures accélérées pour le vote
des lois, créant des échéances incompatibles avec des débats éclairés et
démocratiques.
AMNESTY INTERNATIONAL a rencontré le Ministre de l'Intérieur
pour affirmer son désaccord vis à vis de la prolongation de l'état d'urgence.
Les parlementaires, pour ceux qui entendent la préoccupation
d'AMNESTY INTERNATIONAL quant à la prolongation de l'état d'urgence sont gênés
pour l'expliquer dans leur circonscription.
Alain BRESSY s'émeut que les projecteurs soient braqués sur
l'état d'urgence et que personne ne parle de la réforme du code de procédure
pénale qui va faire entrer DANS LE DROIT COMMUN les mesures d'exception de la
loi sur l'état d'urgence en permettant au préfet et au procureur d'agir à leur
guise sans le visa d'un juge du siège...si ce n'est quelques petites
signatures, de temps en temps, obtenues du juge des libertés et de la
détention, magistrat isolé, comprimé, en urgence perpétuelle et avec un greffe
sous pression.
Alain Bressy ponctue ….« Sans droit, l'Etat n'est qu'un
tyran » (Derrida).
Les solutions ?
Une pédagogie massive envers les jeunes avec des moyens
ludiques et artistiques mais une intervention forte auprès des maîtres dans les
écoles et autres établissements scolaires pour raconter ce que serait la vie si
nos représentants au Parlement nous écoutaient, échangeaient, partageaient,
finalement nous donnaient envie de la chose publique.
Car les deux textes liberticides ont certes été proposés par
un gouvernement mais ils ont été acceptés
-quasi clandestinement-par des hommes et des femmes élus par nous. Le
territoire local est le début de la démocratie nationale.
Dominique CURIS a indiqué que beaucoup de mesures concernant
le renseignement étaient en préparation depuis longtemps. Et au profit d'un
contexte favorable, avec la manipulation de la peur chez les citoyens, des mesures
liberticides sont votées.
Il est actuellement urgent d'interpeller les élus, sensibles à ce qui vient de leur circonscription. Il est essentiel de créer des espaces de débats, d’informations citoyennes, développer un esprit critique…
Il est urgent de se battre pour la démocratie, urgent de
penser ce qu'est une vie en société.
Les citoyens doivent se battre pour que le
cumul des mandats ne soit plus possible, pour
plus de transparence dans tous les domaines de la vie politique.