par
Michel Tubiana*
Face
aux procédures qui les touchent, François Fillon et Marine Le Pen
crient au scandale et demandent une trêve électorale. Au mépris de
l’indépendance des juges et de l’égalité de tous devant la
loi.
La fusillade
dont est l’objet l’institution judiciaire est un phénomène
récurrent. Non que cette « autorité » soit exempte de critiques.
L’actuel traitement des affaires de terrorisme où la prétention
de certains magistrats à vouloir juger entre pairs parce qu’un
jury ne pourrait comprendre leur travail en sont deux exemples parmi
bien d’autres.
Que des juges
soient critiquables dans leur manière d’exercer leur fonction,
qu’ils soient susceptibles de faire preuve de partialité, ce sont
aussi des évidences. Mais entre critiquer le fonctionnement de
l’appareil judiciaire, son conservatisme, son caractère répressif,
etc., et remettre en cause l’égalité des citoyens et citoyennes
devant lui au profit d’une sorte de privilège de caste, voici ce
que les responsables politiques de tout bord n’ont cessé de faire
depuis que notre pays vit sous le régime de la séparation des
pouvoirs (au moins en principe !).
Traditionnels
arrangements entre amis
François Fillon
crie à l’assassinat politique et Marine Le Pen dénonce un parti
pris à son encontre. Dans le cas de François Fillon, ce qui lui est
reproché, ce sont les traditionnels arrangements entre amis propres
à une classe sociale qui ne comprend même pas ce qu’ils peuvent
avoir d’indécents avant même de considérer leur légalité.
Ce qui est
reproché à Marine Le Pen et ses proches, c’est l’habituel
accaparement des institutions par l’extrême droite au point que
les contrepouvoirs démocratiques devraient s’arrêter là où
commence l’intérêt du Front national et de ses dirigeants. Les
menaces proférées à l’égard des policiers, des juges et de tous
les fonctionnaires qui ne respecteraient pas ce privilège atteste
que si Marine Le Pen parle « démocrate », les fondamentaux de ce
principe lui sont toujours étrangers.
Et je fais le
pari que si, demain, d’autres responsables politiques font l’objet
d’une mise en cause judiciaire, ils trouveront les arguments
nécessaires pour protester contre cette immixtion de la Justice,
voire à crier au complot.
Le principe même
de l’existence de trois pouvoirs implique des contradictions et des
frictions. La démocratie n’est pas un long fleuve tranquille et
que ces tensions s’expriment ou que chacun cherche à consolider
son territoire est dans la nature du système démocratique.
Un
État de droit amoindri
La difficulté
naît lorsqu’un pouvoir cherche à assujettir l’autre. À cet
égard, la Constitution de la Ve République postule ce déséquilibre
au profit d’un exécutif presque omnipotent et où « l’autorité
» judiciaire n’est qu’un parent pauvre qu’il s’agisse de ses
moyens ou de son rôle.
La revendication
par François Fillon et Marine Le Pen d’une sorte de trêve
électorale au cours de laquelle l’institution judiciaire
s’interdirait d’intervenir s’inscrit dans cette logique tout en
étant triplement irrecevable.
D’abord, parce
qu’elle n’a pas de sens. Imagine-t-on un candidat à une élection
pris en flagrant délit bénéficier de cette trêve au seul motif
qu’il quête les suffrages des électeurs ? Ensuite, parce qu’elle
ne résulte d’aucun texte, et pour cause, puisqu’elle
constituerait, c’est la troisième raison, une rupture d’égalité
devant la loi.
Au total, que
nous servent ces « victimes » de l’institution judiciaire ? La
perspective d’un État de droit amoindri par la création d’une
sorte de privilège fonctionnel qui résulterait de leur engagement
politique. Par extension, le discrédit de tous les responsables
politiques et de toutes les institutions. Enfin, l’idée qu’au
fond, la démocratie est le pire des régimes et qu’on peut en
trouver un meilleur…
Ne nous y
trompons pas, défendre l’indépendance de la Justice et donc
l’indépendance des juges, ce n’est pas favoriser le gouvernement
des juges. C’est nous assurer une garantie, sans doute imparfaite
mais indispensable, contre l’arbitraire.
*
Michel
Tubiana est président d’honneur de la Ligue des droits de l’Homme