Le Réseau
Euro-Méditerranéen des Droits de l’Homme (REMDH),
l'Organisation Mondiale Contre la Torture (OMCT) et la
Fédération internationale des ligues des droits de l'Homme
(FIDH), déplorent l’adoption hier, 11 décembre, du projet de
Loi organique de Protection de la Sécurité Publique en
séance plénière du Congrès des Députés. Nos trois
organisations dénoncent les restrictions croissantes du
droit de manifestation en Espagne.
Cette loi,
également appelée « loi bâillon », a été votée le 25
novembre dernier par la Commission des Affaires intérieures
du Congrès des Députés, sans modifier le texte de manière
substantive afin de protéger les droits des citoyens aux
libertés d’expression et de réunion pacifique. En dépit du
rejet de tous les partis
de l’opposition, des organisations de la société civile
dénonçant la menace directe que la loi fait peser sur les
droits de réunion pacifique, et de 82 % de l'opinion
publique espagnole d’après de récents sondages, cette loi a
pourtant été adoptée le lendemain même de la Journée
internationale des droits de l’Homme, et entrera en vigueur
d’ici la fin de cette année.
Sous le
prétexte d’améliorer la sécurité citoyenne, la Loi organique
de Protection de la Sécurité Publique établit un arsenal de
sanctions administratives parfois très lourdes visant à
dissuader les citoyens et citoyennes d’exprimer leurs
critiques par des manifestations publiques. Cette loi vise
notamment à criminaliser des formes d’action collective et
d'expression nouvelles qui se sont développées ces dernières
années, y compris les escraches («manifestations de
dénonciation publique»), les sit-in, campements sur les
places publiques, « encerclements » pacifiques des
parlements, et les «concerts de casseroles».
Entre
autres, il est particulièrement alarmant que soit passibles
d’amendes l’organisation de réunions publiques et de
manifestations qui n’ont pas rempli les conditions de
déclaration préalable, y compris les rassemblements
spontanés pour lesquels la notification s’est avérée
impossible. Le caractère pacifique des manifestations n’est
nullement pris en compte. Les rassemblements pacifiques dans
les environs du Congrès, Sénat ou des assemblées
législatives des Communautés autonomes, si elles provoquent
de graves perturbations de la sécurité publique, sont
considérés comme une « infraction grave » punie par une
amende pouvant aller jusqu’à 30.000 euros. L’utilisation
« non autorisée » d’images des autorités ou des membres des
forces de sécurité est également considérée comme une «
infraction grave », ce qui pourrait entraver la
documentation d’abus des forces de l’ordre et renforcer
l’impunité dont celles-ci bénéficient.
Le REMDH,
l’OMCT et la FIDH dénoncent également la légalisation par un
amendement présenté à la dernière minute par le gouvernement
des « expulsions à chaud », pratique à Ceuta et Melilla qui
consiste à renvoyer immédiatement vers le Maroc les migrants
qui ont réussi à franchir la frontière et nos organisations
considèrent que cette nouvelle disposition législative
viole le droit d’asile et le principe de non-refoulement.
De plus, cet amendement crée des sévères risques de torture
et mauvais traitements à l’encontre des migrants car ils
seraient alors privés de la possibilité de présenter une
demande en cas d’abus des forces de l’ordre.
La Loi
organique de Protection de la Sécurité Publique est
contraire aux engagements internationaux de l’Etat espagnol,
notamment la Convention relative au statut des réfugiés de
1951, l’articles 12.1, 18 et 19 de la Charte des droits
fondamentaux de l’UE et de l’article 4 du Protocole n°4 et
l’article 11 de la Convention européenne des droits de
l’Homme, et aux recommandations de la Cour Européenne des
droits de l’Homme et autres instances internationales des
droits de l’Homme. Le Commissaire aux droits de l’Homme du
Conseil de l’Europe, M. Nils Muiznieks, a également souligné
la menace que présente la loi sur l’exercice du droit de
réunion pacifique et a appelé à ce que les aspects relatifs
à la demande d’autorisation préalable, la considération des
manifestations autour du Congrès ou des assemblées
régionales comme une faute grave et l'interdiction
d'enregistrer des images des forces de sécurité dans
l'exercice de leurs fonctions soient retirés de la version
finale. Il a également rappelé lors de la Journée
internationale des droits de l’Homme le 10 décembre, que la
proposition de légaliser les expulsions automatiques et
collectives de migrants est « injuste et illégale » en vertu
du droit international.
Le REMDH,
l’OMCT et la FIDH appellent donc les autorités espagnoles à
modifier la loi sans délai afin que celle-ci soit conforme
avec les normes internationales relatives aux droits de
réunion et au droit d’asile, et attendent de l’Union
européenne, y compris du Parlement européen et des autres
États membres, une réaction ferme face à cette violation des
libertés publiques en Espagne.