dimanche 2 février 2014

Communiqué vidéosurveillance




Plus jamais seul





« A chaque palier, sur une affiche collée au mur, face à la cage de l'ascenseur, l'énorme visage vous fixait du regard. C'était un de ces portraits arrangés de telles sorte que les yeux semblent suivre celui qui passe. Une légende sous le portrait disait : BIG BROTHER VOUS REGARDE. […] On devait vivre, on vivait, car l'habitude devient instinct, en admettant que tout son émis était entendu et que, sauf dans l'obscurité, tout mouvement était perçu. »

George Orwell, 1984 (1949), Paris, Gallimard, « Folio », 1972.





Le 12 février 2014, la ville de Rennes inaugurera trois caméras place de la République. Une nouvelle étape aura lieu au prochain conseil municipal avec le vote pour des caméras au centre commercial Italie au Blosne. Actuellement 28 caméras sont installées dans la ville, sans compter les installations privées et particulièrement celles du STAR, comptant plus de 1600 caméras dans les bus, métros et stations. Peu avant l'installation des caméras de vidéosurveillance place de la République, Hubert Chardonnet, adjoint à la sécurité de la ville de Rennes avoue : « Depuis l'installation des caméras place Saint-Anne, on sait qu'une grande partie du trafic s'est déporté sur République. » L'arrivée des caméras aurait donc déplacé les problèmes, ce qui prouve une nouvelle fois leur inefficacité. Il convient alors de s'interroger sur la mise en place des caméras à République qui pourrait déplacer le trafic vers la gare.

Selon un sondage réalisé en 20081, 71% des Français seraient favorables à la vidéo-surveillance. Ces « auto-surveillés volontaires » considèrent qu'ils n'ont rien à craindre dès lors qu'ils n'ont rien à se reprocher. Persuadés de l'efficacité et de la neutralité du procédé, ils réfutent ses potentialités liberticides.
La formule « pour raisons de sécurité » fonctionne comme un argument d'autorité permettant d'imposer des perspectives et des mesures inacceptables. Ce concept est inscrit dans le paradigme de l'état d'exception. Les procédures d'exception visent une menace immédiate et réelle qu'il faut éliminer en suspendant pour un temps limité les garanties de la loi. Selon Giorgio Agamben2 dans son article intitulé Comment l'obsession sécuritaire fait muter la démocratie, aujourd'hui les « raisons de sécurité » constituent au contraire une technique de gouvernance normale et permanente. Ainsi, si l'exemple anglais devient un modèle, avec des habitants filmés parfois 300 fois par jour, le droit à la vie privée serait nécessairement restreint par cette traçabilité permanente.
Initiée pour lutter contre la délinquance, la vidéosurveillance a été rebaptisée « vidéoprotection » par la LOPPSI 2. A ces objectifs initiaux, cette loi avait ajouté la prévention des atteintes à la sécurité dans les lieux particulièrement exposés à des risques de trafic de stupéfiants et des fraudes douanières, la prévention des risques naturels et technologiques, le secours aux personnes et la défense contre l'incendie.

Si en 2010, la Grande Bretagne a décidé d'enterrer la société de surveillance et qu'à Nice, l'une des villes les plus vidéosurveillées en France, l'inefficacité des caméras a été démontré en 2011, le gouvernement français ne cesse d'en vanter les mérites.
Pourtant, en 2011, le rapport de la cour des comptes3 déplore le fait qu'« aucune étude d'impact, réalisée selon une méthode scientifiquement reconnue, n'a encore été publié ».

« Au cours de la période considérée, le taux d’élucidation des faits de délinquance de proximité n’a pas davantage progressé dans ces CSP (Circonscriptions de Sécurité Publique) équipées de caméras de vidéosurveillance de la voie publique que dans celles qui ne le sont pas. Pour les faits de délinquance pris globalement, il s’est même davantage amélioré dans les CSP non vidéosurveillées. »

Alors que certaines installations auraient bénéficié de subventions importantes (Fonds interministériel de prévention de la délinquance, département, État), le système ne prouve pas son intérêt sur le terrain et les coûts sont démesurés.
Selon ce même rapport, une caméra coûte en moyenne pondérée 36600€ à l’installation et 7400€ à l'année, incluant maintenance technique, entretien, rémunération du personnel.
Souvent en panne et rarement surveillées en temps réel, les caméras de vidéosurveillance sont inutiles pour intervenir en flagrant délit. Elles peuvent toutefois capter tout événement se déroulant sur l'espace public.
Depuis 2006, la consultation policière à des fins de sécurité publique est possible. Les policiers et les gendarmes sont alors destinataires d'images collectées par de multiples caméras. Sous prétexte d'assurer leur mission de sécurité publique, il leur est alors techniquement possible de surveiller, de contrôler et d'accumuler des informations sur des militants syndicaux et politiques, voire des personnes périodiquement présentes dans des manifestations. Le CNIL (Commission Nationale Informatique et Liberté) demande notamment une traçabilité des accès à ces données sensibles et personnelles, comportant déplacements, rencontres, participation aux manifestations et toutes habitudes de vie.
Depuis l'édition de ce rapport, la situation n'a pas changé et les caméras continuent d'être installées massivement dans des villes qui se refusent à effectuer des évaluations sérieuses sur le sujet.

L'installation de tels dispositifs est pourtant contraire à la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Selon cette dernière, le droit à la sécurité supplante le droit à la sûreté, celui-ci visant à protéger les citoyens contre l'arbitraire étatique et constituant le fondement du régime démocratique.
En État de droit, la recherche d'efficacité répressive ne peut alors s'affirmer au détriment de la protection des droits fondamentaux.


La Ligue des droits de l'Homme, section de Rennes dit

NON A LA VIDEOSURVEILLANCE




Doriane Spiteri



1 Enquête IPSOS, les français et la vidéo-surveillance, CNIL, mars 2008.
2 Giorgio Agamben, « Comment l'obsession sécuritaire fait muter la démocratie », Le monde diplomatique, janvier 2014. http://www.monde-diplomatique.fr/2014/01/AGAMBEN/49997




Puisque tout citoyen peut, par simple lettre à la direction de la police municipale, demander à voir les images où il figure, voici un clip d'un groupe anglais réalisé par le seul moyen des caméras de vidéosurveillance :






LIENS


Noé Le Blanc, « La vidéosurveillance se cherche un alibi », Le Monde diplomatique, 23 février 2011.

Virginie Gautron, « Vidéosurveillance ou vidéoprotection : nos libertés sous contrôle ? », Place Publique Rennes, 2011.

Jean-Marc Manach, « Vidéosurveillance : ce que révèle la cour des comptes », OWNI, 14 juillet 2011.

Jean-Marc Manach, « La Grande Bretagne enterre la société de surveillance », Bugbrother, 25 mai 2010. http://bugbrother.blog.lemonde.fr/2010/05/25/la-grande-bretagne-enterre-la-societe-de-surveillance/

Jean-Marc Manach, « Un rapport prouve l'inefficacité de la vidéosurveillance », Bugbrother, 13 novembre 2009. http://bugbrother.blog.lemonde.fr/2010/05/25/la-grande-bretagne-enterre-la-societe-de-surveillance/



Lire la publication intitulée Sous surveillance, éditée par la Ligue des droits de l'Homme, EDRI, AEDH, Pangea et luRe, en 2010.