lundi 10 décembre 2018



Discours de Malik Salemkour, président de la LDH, 
à l'occasion des 120 ans de la LDH et des 70 ans de la DUDH, le 10 décembre 2018 au Panthéon

C’est un grand honneur d’être en ce haut lieu symbolique de la République pour rendre hommage aux figures illustres de la LDH et de la France toute entière, présentes au Panthéon, à l’occasion du 120e anniversaire de la création de la LDH et des 70 ans de la DUDH dont René Cassin a été l’un des acteurs majeurs.
Merci aux dirigeants du Panthéon pour cet accueil et à toutes et à tous pour votre présence.
Encore plus dans l’actualité, cette commémoration offre l’opportunité d’une lecture partagée de l’Histoire, celle de la LDH et de la France, si imbriquée, et des leçons à en tirer pour le présent et l’avenir.

En 1898, en pleine affaire Dreyfus, face à l’arbitraire, l’injustice et l’antisémitisme, contre la Raison d’Etat, des femmes et des hommes, témoins rassemblés lors du procès d’Emile Zola suite à son article « J’accuse », décident de s’unir pour porter l’exigence indéfectible de « défendre les principes de liberté, d'égalité, de fraternité et de justice énoncés dans la Déclaration des droits de l'homme de 1789 ». 
C’est dans la permanence de l’idéal révolutionnaire de 1789 qu’ils inscrivent leurs actions et choisissent le nom de « Ligue pour la défense des droits de l’Homme et du Citoyen », ambition qui reste la nôtre encore aujourd’hui, dans la même source originelle.
C’est ainsi l’affirmation qu’il revient aux citoyens, au peuple souverain lui-même, de veiller à ce que les droits et libertés fondamentales soient bien garanties par le pouvoir et protégées de tout abus des puissants.
Que c’est par la force de contrepouvoirs citoyens, par leur vigilance constante, par une participation active à la vie de la cité, levier indispensable d’une démocratie vivante, que nul ne peut être exclus de l’égalité, de l’égale dignité et du progrès social.
Cette promotion indissociable des droits et de la citoyenneté réunit dès l’origine, des femmes et des hommes venus d’horizons divers, transcendant les divergences partisanes, réunis ici dans l’essentiel.
On y retrouve le ministre « centriste » Ludovic Trarieux qui fut son premier président, le socialiste jaurésien venu du protestantisme Francis de Pressensé qui lui succéda, la journaliste et féministe libertaire Séverine.
Honorés ici, les radicaux et libres penseurs Marcelin Berthelot et Paul Painlevé, les scientifiques Marie Curie, Paul Langevin et Jean Perrin.
Ce sont aussi les grands résistants Victor Basch, Felix Eboué, Pierre Brossolette, Maurice Halbwachs, Henri Maspero, Jean Zay et bien sûr Jean Moulin.
Pour terminer la liste des grands personnages honorés au Panthéon, qui vous seront présentés plus en détail lors des visites à la suite de ces discours, je veux citer l’écrivain anti colonial Aimé Cesaire.
Toutes et tous avaient chevillé au corps le rêve d’une France et d’un monde plus juste.
Celui qui l’incarne en ce jour c’est René Cassin, dont l’appartenance à la direction de la LDH avec les valeurs qu’elle porte et les réflexions qu’elle anime, alimente son travail à l’ONU.
Ainsi, le 10 décembre 1948, l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations unies, réunie au Palais de Chaillot à Paris, adopte la Déclaration universelle des droits de l’Homme (la DUDH) en réaction à l’horreur de la barbarie de la Seconde Guerre mondiale pleinement révélée.
Alors que la guerre froide s’installe entre deux blocs antagonistes, les grandes puissances et tous les États souverains s’accordent sur un texte radical d’une ambition humaniste libérale posée à une échelle supranationale.
Cette Déclaration est universelle et non internationale. Elle affirme ainsi la primauté des droits de toutes les femmes et de tous les hommes sur les droits des États qu’ils débordent en offrant le principe de garanties absolues.
Elle déclare l’égale dignité et de la non-discrimination entre tous les êtres humains, en particulier entre les femmes et les hommes. Elle pose aussi que la communauté internationale est fondée sur les droits et libertés en gravant les droits économiques, sociaux et culturels au même rang que les libertés civiles et politiques.
Dès l’entre-deux guerres, la LDH est profondément attachée à cette indivisibilité et à cette interdépendance des droits, trop souvent négligées aujourd’hui.
Elles conservent leurs forces pour poser un cadre holistique au contrat social nécessaire régissant les rapports entre les individus et les autorités publiques, incarnées par les États, leurs gouvernants et leurs administrations.
Comment ne pas entendre aujourd’hui qu’il n’est pas de justice sans justice sociale, de dignité sans égalité effective des droits.
Cette déclaration de l’ONU est dépourvue de force obligatoire, mais elle est complétée par deux conventions contraignantes qui en sont la traduction et votés 18 ans plus tard, en 1966, en contradiction avec l’esprit fondateur d’indivisibilité des droits :
  • Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) ;
  • le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC).
Si leurs ratifications obligent les États à les décliner dans leur droit interne, leur application est loin d’être satisfaisante.
Comment ne pas voir que l’impunité permise à ceux qui piétinent la DUDH et ses Pactes encourage les régimes totalitaires.
Contre l’injustice et l’arbitraire, ce qui fonda la LDH il y a 120 ans, l’opposabilité de la DUDH et l’effectivité des droits et libertés qu’elle pose, comme la possibilité de recours direct par les citoyens du monde sont de nouvelles étapes à penser. L’idée d’une cour internationale des droits universels serait ici une piste.
De même, certains droits fondamentaux sont à compléter. Par exemple, l’abolition universelle de la peine de mort, reste à obtenir dans le tiers des pays du monde qui l’appliquent toujours, dont les plus grandes puissances, Etats-Unis, Chine, Russie, Inde.
De même, la liberté de circulation et celle de quitter son pays reste enfin à compléter par un cadre sur les conditions d’entrée dans un pays tiers obligeant à réfléchir aux causes des migrations et à sortir des réponses court-termistes et restrictives, aussi illusoires que dangereuses.
La protection des individus face aux technologies de l’information ou médicales doit aussi y trouver sa place.
Enfin, le dérèglement climatique qui menace l’avenir même de l’humanité, oblige à penser de nouveaux droits universels.
Le droit à un environnement sain et durable est à rendre effectif et impose aux États à prendre leurs responsabilités.


Ainsi, nombre de préoccupations historiques de la LDH demeurent : antisémitisme, racisme, xénophobie, injustice sociale, inégalités femmes/hommes, arbitraire, violences policières, crise démocratique, paix...
Les formes sont parfois renouvelées mais les racines du mal se retrouvent souvent dans les temps passés avec des réponses d’alors éclairantes pour le futur, interrogeant constamment l’universel et l’effectivité des droits.
Les femmes et les hommes honorés au Panthéon nous ont montré, allant jusqu’à le payer de leur vie, que ces combats sont difficiles et les acquis constamment menacés, que seules, la résistance aux dynamiques mortifères, aliénantes, démagogiques et une permanente insurrection des consciences pouvaient offrir un horizon de progrès à nos sociétés, comme à l’humanité toute entière.
Aux citoyennes et citoyens d’agir pour des droits et libertés effectifs et universels, aujourd’hui et demain.
Cette histoire n’est donc pas close, elle s’écrit encore.
La LDH poursuivra sa mission en partageant cet idéal à rendre réel, à l’image de ses illustres prédécesseurs.
Je vous remercie
.

Malik Salemkour, président de la LDH